Un olivier sur le sol polonais : notes sur le colloque Liquid Gold (24-27 septembre 2025)
Le colloque Liquid Gold. Olive Oil in Antiquity – Cultivation, production, trade, and cultural significance s’est tenu à Varsovie du 23 au 27 septembre 2025, sur le campus principal de l’Université de Varsovie, Krakowskie Przedmieście 26/28. Il a été admirablement organisé par plusieurs membres de cette université sous l’égide de Tomasz Waliszewski, Dorota Dzierzbicka, Paulina Komar et Urszula Wicenciak-Núñez (faculté d’archéologie et Polish Centre of Mediterranean Archaeology), par Jana Kopáčková (musée archéologique de Zagreb) et par Dimitri Van Limbergen (Université de Vérone). Il a rassemblé durant 4 jours une cinquantaine de personnes, de la jeune chercheuse en formation jusqu’au senior, chacun apportant sa contribution à la connaissance de l’huile d’olive antique (fig. 1). Les multiples facettes de cette production ont été abordées par le prisme de l’archéologie, de l’histoire, de la botanique, de la chimie et de la climatologie.
La rencontre était prévue dès le début en mode hybride mais la majeure partie des participants avait fait le déplacement. Cela a ainsi donné lieu à de fructueux échanges, pendant les temps de discussion à la fin de chaque session (20 mn) ou, moins formellement, lors des pauses et des à-côtés du colloque. Nous avons été reçus dans le prestigieux amphithéâtre Jan Baszkiewicz de la faculté des Sciences Politiques et Etudes Internationales ainsi que dans la salle à colonnes de la Faculté d’histoire de l’Université de Varsovie (fig. 2-3). Enfin, la session conclusive s’est déroulée dans les locaux de la cave du domaine de Dwórzno.


Durant l’Antiquité, l’huile d’olive était non seulement un aliment de base, mais aussi un produit essentiel du commerce, une des composantes des rituels religieux et un ingrédient précieux en médecine et en cosmétique. Elle a laissé de nombreuses traces archéologiques de sa production dans les pays du pourtour méditerranéen. Les installations de pressurage sont les plus visibles et leur différentiation des installations prévues pour le vin n’est pas toujours aisée (voir par exemple les pressoirs de Déhès pour la Syrie du Nord). De même, l’étude de son commerce renvoie à la question du contenu des amphores, vin, huile ou conserves de poissons, qui ne peut pas toujours être déterminé.
Chaque journée était introduite par une conférence abordant un aspect particulier des études sur l’huile d’olive. La première journée a été ouverte par l’intervention du professeur David John Mattingly (Université de Leicester, GB), First fruit revisited: some reflections on the olive in the Roman world issue du travail de son équipe depuis 40 ans dans le nord du Sahara. Il a rappelé l’œuvre fondatrice de Jean-Pierre Brun, les recherches de Michel Bonifay sur les amphores et les essais de quantification des productions. Fortement développées depuis l’époque romaine, la culture de l’olivier et la production d’huile d’olive ont nécessité d’énormes investissements financiers qui, en retour, ont fait la fortune des producteurs. Au-delà d’une uniformité apparente des installations, il existe une variation significative de celles-ci à l’échelle de l’Afrique du Nord, voire, dans certains cas, des installations hybrides utilisées à la fois pour l’huile et le vin mais avec des espaces spécifiques à chacun dans le même bâtiment. La première session a débuté par la question de l’impact des changements climatiques anciens sur l’olivier et les aménagements agricoles liés à sa culture. Elle s’est poursuivie par plusieurs interventions sur l’analyse des résidus organiques, dans les céramiques ou dans les pressoirs, pour l’identification de la production ou du transport de l’huile ou du vin. Cette session a également évoqué d’autres huiles, élaborées à partir de ricin, sésame, graines de lin ou carthame. L’analyse chimique des résidus montre aussi l’utilisation d’huile comme support de parfums.
Introduite par la communication d’Erica Rowan (Royal Holloway, Université de Londres, GB) sur The domestication of the olive tree: a source of energy, la deuxième journée a abordé les techniques anciennes de production et de stockage et a, en quelque sorte, brossé un état des lieux de la recherche dans les différentes régions du bassin méditerranéen : Afrique du Nord (Tunisie, Maroc), Espagne, Croatie, Italie, Sicile, Palestine, Syrie, Jordanie. Ce tour d’horizon a montré que, bien que partageant de nombreux traits communs, les installations de production de l’huile varient sensiblement d’une extrémité à l’autre de la Méditerranée. Par exemple, en ce qui concerne les broyeurs destinés à réaliser la pâte qui sera ensuite pressée, il existe une nette différence entre les installations marocaines, qui utilisent des moulins biconiques, et celles du Proche-Orient qui utilisent des moulins à meules verticales. L’évolution chronologique des mécanismes des presses a également été évoquée en soulignant toutefois la difficulté de dater les nombreux blocs de pressoirs identifiés dans les prospections. La présentation d’un exemple palestinien contemporain, domestique, de pressurage d’olives avec un minimum de moyens (des creux et des cupules dans le rocher, de grosses pierres) pose la question de l’identification de telles installations dans les fouilles et prospections archéologiques.
En début de troisième journée, le professeur José Remesal Rodríguez (Université de Barcelone, Espagne) a présenté son travail sur le Monte Testaccio. Cuestiones arqueológicas e históricas. Il a pu reconstituer les étapes de la constitution de ce dépôt d’amphores et les dater à l’année près, grâce aux étiquettes inscrites à l’encre ou incisées sur les épaules des contenants, qui livrent la tare, le poids net, le nom du propriétaire du domaine de provenance, le contrôle fiscal par le commanditaire de l’huile et la date consulaire (entre l’époque d’Auguste et 252 ap. J.-C.). Les nombreux timbres permettent, quant à eux, de connaître les noms des producteurs des amphores.
Les thématiques de l’impact de l’huile d’olive sur les économies et les sociétés, ainsi que son importance culturelle et médicinale, ont été développées à la suite de cette communication. Une des principales approches est celle des contenants, les amphores, notamment les plus répandues (LRA1 et LRA2) et l’étude de leur répartition qui permet de dresser une carte du commerce (ou de la diffusion dans les établissements militaires) de l’huile d’olive. Sa production par des établissements religieux, les rituels modernes liés à la protection des récoltes, son utilisation en contexte funéraire ont été évoqués. Les sources écrites permettent d’identifier les producteurs, les marchands, les fonctionnaires chargés du contrôle des marchandises, le nom du capitaine du bateau… mais aussi de connaître certains des ouvriers qui travaillaient dans les pressoirs, par exemple, des enfants.
Le colloque s’est accompagné d’une exposition autour de l’huile d’olive (Liquid Gold: Power, Culture, and Legacy of Olive Oil), sujet traité depuis la domestication de l’olivier jusqu’aux productions et consommations actuelles. Les panneaux étaient disposés sur le campus de l’Université, dans le jardin devant l’entrée de l’ancienne bibliothèque, où s’était jadis déroulé le 8e ICAANE (Congrès international sur l’archéologie du Proche-Orient ancien) dont nous gardons tous le meilleur souvenir.

Un moment fort a été celui de l’inauguration de la plantation d’un olivier, « Olivia » devant la faculté d’archéologie (fig. 4). Offert il y a trois ans par l’Ambassade de Grèce au jardin botanique de la ville puis cédé à l’Université, cet olivier centenaire rappelle la forte implication de l’Université de Varsovie et du Polish Centre of Mediterranean Archaeology dans l’archéologie des pays du pourtour méditerranéen. D’aucun pourrait s’inquiéter de sa survie en Pologne mais, avec la vitesse du réchauffement climatique global, les conditions environnementales sur place lui seront de plus en plus favorables. Néanmoins, les jardiniers ont tout de même prévu un système de réchauffement des racines en cas de températures trop rigoureuses.
Parler de l’huile d’olive est passionnant mais cela le devient encore plus lorsqu’il est possible de la goûter. De fait, une dégustation avait été prévue pour chaque fin de journée. Le mercredi, l’ambassade d’Espagne (le premier producteur mondial) et le musée de l’huile d’olive de Brač en Croatie nous ont permis de déguster 3 huiles d’olive, accompagnés par un « sommelier » nous aidant à reconnaître la première pression à froid et les huiles les plus bénéfiques à la santé (fig. 5). Le jeudi, le restaurant Oliva nous accueillait pour une dégustation d’huiles grecque et espagnole. Le vendredi, la pause de 16 heures a été dévolue aux tests d’huile d’olive et autres produits portugais et la soirée à la dégustation de produits tunisiens offerts par l’ambassade de Tunisie. Enfin, le musée de l’huile d’olive de Croatie a régalé chaque participant d’une petite bouteille d’huile d’olive croate, afin de faire durer un peu plus le parfum de l’huile après la fin du colloque.

Les participants les plus assidus se sont retrouvés pour la dernière session, couplée à la visite du vignoble de Winnica Dwórzno, chacun étant bien conscient, après avoir entendu les différentes communications, de l’étroite imbrication entre production d’huile et de vin, même si cela n’est pas encore le cas en Pologne (fig. 6). Tomasz Waliszewski a conclu cette rencontre en rappelant l’abondance des publications récentes sur l’huile d’olive et l’influence de Jean-Pierre Brun sur cette thématique de recherche. Il a ensuite formalisé quelques idées fortes, notamment la nécessité de créer un réseau international sur l’huile d’olive et le vin, pour initier une plateforme d’échange d’informations. Les discussions ont fait apparaître qu’il était nécessaire d’élargir la période chronologique concernée et de l’envisager de l’âge du Bronze à la période médiévale. Un des impératifs serait de travailler à un glossaire et à un alignement des termes techniques utilisés sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Pour ce faire, l’outil Opentheso développé à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée nous paraît particulièrement adapté. La question d’interconnecter des bases de données existantes a aussi été évoquée. Pour ce qui est de la création d’un réseau international, elle pourrait être prise en charge par la nouvelle génération. Nul ne doute que les jeunes chercheuses extrêmement dynamiques qui ont co-organisé ce colloque sauront s’impliquer dans la circulation des savoirs et des idées autour de « l’or liquide ».
L’auteur
Marie-Odile Rousset est archéologue, Directrice de recherche au CNRS, spécialiste du Proche-Orient médiéval. Elle travaille sur le peuplement diachronique des Marges arides et du Massif calcaire de Syrie du Nord. UMR 5133 – Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie-Odile Rousset (10 octobre 2025). Un olivier sur le sol polonais : notes sur le colloque Liquid Gold (24-27 septembre 2025). ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14w0g



