Le groupe PURR-Archéorient – Pour une Recherche Responsable à Archéorient
Aujourd’hui, la réflexion sur les causes, les effets et les enjeux du changement climatique dépasse largement les cercles initiés des spécialistes du climat, des pouvoirs politiques et de la société. Le rôle essentiel des gaz à effet de serre dans la régulation du climat est maintenant bien connu. Parce que nous sommes inquiets face au réchauffement climatique et à l’érosion de la biodiversité, parce que nous, membres de la recherche et de l’enseignement, sommes conscients de l’accroissement exponentiel des émissions de gaz à effet de serre (GES), parce que nous nous interrogeons sur l’impact environnemental de nos propres activités de recherche et avons un devoir d’exemplarité, nous avons créé dans notre unité de recherche Archéorient (CNRS/Université Lyon 2) le groupe de travail Pour une Recherche Responsable à Archéorient (Le groupe PURR-Archéorient).
Pour rappel, le dernier rapport du GIEC estime que le réchauffement de la planète atteindra 1,5°C dès le début des années 2030, et cela, quels que soient les scénarios d’émission. Le levier majeur pour limiter ce réchauffement est d’accélérer dès maintenant la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GIEC 2023).
La genèse du PURR
A la source du PURR, se situe une réunion organisée le 10 mai 2023 par E. Vila et V. Muller. Cette réunion portait sur “Actualité de la réflexion dans le monde scientifique sur le développement durable” et rassemblait, en plus des membres du laboratoire, les Correspondantes Développement Durable de la MOM (A. Béréziat [HiSoMA], P. Brun et M. Chebance [MOM]) ainsi qu’A. Zazzo, Directeur de recherche au laboratoire BioArch-MNHN à Paris, une unité à l’avant-garde sur ces problématiques.
A. Zazzo nous a présenté le cadre général des enjeux environnementaux, les limites du système terre, le réchauffement climatique et la nécessité impérieuse de réduction des émissions de GES. Il a partagé ses inquiétudes mais aussi son engagement et son expérience en tant que responsable développement durable (RDD) au sein de son laboratoire. S. Sorin (RDD Archéorient) a présenté les résultats du bilan carbone du CNRS pour l’année 2022 et le plan de transition bas carbone élaboré par le comité développement durable au regard de ces résultats.
A l’issue des discussions qui ont suivi ces présentations, il a été décidé de poursuivre la dynamique initiée lors de cette réunion en créant un groupe de travail dédié aux questions environnementales à Archéorient et de recruter un ou une stagiaire pour effectuer le bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BGES) du laboratoire.
Cinq membres de l’unité (S. Sorin, C. Benech, M.-O. Rousset, B. Perello, T. Mibord, E. Vila) ont fait part de leur volonté de s’impliquer dans cette démarche responsable en rejoignant le groupe de travail PURR. Les objectifs de ce groupe de travail sont multiples :
- Relayer la politique du CNRS en matière de réduction de l’impact environnemental de la recherche,
- Sensibiliser les membres du laboratoire aux enjeux environnementaux et aux bonnes pratiques,
- Mener une réflexion ainsi que des actions concrètes, à l’échelle du laboratoire, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre générées par nos activités de recherche.
Du calcul du BGES à la proposition d’une Charte d’engagement responsable
Notre première mission a été de calculer le BGES d’Archéorient pour l’année 2023. L’objectif était d’identifier les postes d’émissions les plus significatifs et d’interroger nos pratiques en fonction des résultats obtenus. Un stage de six mois (C. Autin, Master 1 SENTINELLES-Université Lyon 3) a été financé par le laboratoire afin de réaliser le bilan carbone (BGES) pour l’année 2023 à partir de la plate-forme Labo 1.5. https://apps.labos1point5.org/ges-1point5
Cette plateforme, créée par un collectif dont les membres viennent du monde académique, permet, via l’outil GES 1point5, de quantifier l’empreinte carbone des laboratoires, de répertorier les initiatives et de faire progresser la réflexion individuelle et collective.
Cet outil compile, pour chaque activité, les facteurs issus de bases de données fournies par l’Agence de la transition Ecologique (ADEME). Il permet ainsi de transformer une « quantité d’activité » en émission carbone et d’obtenir un ordre de grandeur afin d’identifier les principaux pôles d’émission. Cette quantification s’exprime en tonnes équivalent CO2 (t eCO2).

Pour le calcul de son BGES, le CNRS a défini un périmètre et un choix méthodologique. Ce périmètre comprend l’hébergement (consommation en énergie des bâtiments dont le CNRS est propriétaire), les effectifs (toute personne faisant partie du laboratoire sur 12 mois sans inclure les chercheurs associés), les déplacements des agents CNRS domicile/travail et les achats (missions et achats sur crédit CNRS).
L’empreinte carbone moyenne de l’activité professionnelle d’un membre d’Archéorient
Le BGES global du laboratoire pour l’année 2023 est de 249 t eCO2 ce qui représente une empreinte moyenne par agent de 4,09 t eCO2 dans le seul cadre du travail.

Sans surprise, car les missions de terrain du laboratoire s’étendent sur une vaste aire géographique comprenant le bassin méditerranéen, l ’Asie du Sud-Ouest, allant jusqu’à l’Asie Centrale, ainsi que du Caucase à l’Éthiopie, le principal poste d’émission est celui des missions de terrain à l’étranger. Elles totalisent 52% des émissions de GES. Deux cent cinquante-cinq missions ont été effectuées dans 30 pays différents soit 856 843 km dont 720 772 km ont été parcourus en avion (ce qui correspond à 18 fois le tour de la terre !). Ce résultat reflète la reprise d’activité post-Covid mais aussi le dynamisme du laboratoire et son rôle important à l’international. L’enjeu est donc de trouver des solutions pour réduire l’impact climatique des missions sans nuire à la qualité de notre recherche et de notre rayonnement scientifique.
Il faut saluer la majorité des agents qui ont opté pour une mobilité douce pour leurs déplacements domicile-travail avec le train comme mode de transport privilégié, mais aussi la marche à pied ou le vélo, avec près de 40 000 km parcourus annuellement ! L’usage de la voiture est le mode de transport le plus émetteur avec un peu plus de 7t eCO2 mais il reste modéré et se justifie pleinement pour nos collègues basés à l’antenne de Jalès qui n’est pas (ou très difficilement) reliée à Lyon par les transports en commun.
À la suite de ce constat, il nous fallait, d’une part, cibler la démarche la plus adaptée aux spécificités de notre métier et, d’autre part, cerner le degré d’implication des agents pour mettre en place des mesures éco-responsables qui soient acceptées et appliquées par la plupart de nos collègues. C. Autin a mené une enquête auprès des membres du laboratoire via un questionnaire qui proposait une large gamme de mesures accompagnées de différents degrés d’acceptabilité allant de « Je participerai » à « cela ne me concerne pas ». Nous avons ensuite croisé les résultats de cette enquête à ceux du BGES pour élaborer des scénarios de décarbonation et construire une Charte d’engagement éco-responsable qui soit adoptée et mise en pratique par le plus grand nombre.
Une charte pour modifier nos comportements
Pour respecter l’accord de Paris, et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, le constat est que nous devons réduire nos émissions de plus de 50% et atteindre 2t eCO2 par agent, toutes activités professionnelles et personnelles confondues. Ainsi, cette charte fixe comme objectif une réduction de 10% par an jusqu’en 2030. Cela représente une réduction de 400 kg eCO2 par agent soit l’équivalent d’un ordinateur portable professionnel ou d’un aller-retour Lyon/Rome en avion
(données ADEME).
Nous proposons donc différents leviers qui, cumulés, permettrons d’atteindre ces 10% sans impacter notre production scientifique. Ils touchent différents domaines de notre activité avec en premier lieu les transports.
Bien que les déplacements longue distance et l’usage de l’avion soient incontournables, il est possible de baisser nos émissions en combinant train et avion afin de favoriser les vols directs et en ne prenant l’avion que pour les destinations supérieures à 6h de train. De même, nous préconisons l’usage de la voiture uniquement pour les missions de terrain, et aux endroits non ou mal desservis par les transports en commun. Enfin, nous encourageons l’utilisation de la visioconférence pour toutes les réunions ou manifestations scientifiques, chaque fois que cela est possible.
Si les transports ont un impact fort sur nos émissions GES, il est également possible d’agir dans notre vie quotidienne au laboratoire, par le choix des traiteurs pour les cocktails (circuit court, végétarien, vaisselle non jetable), par un investissement dans une économie circulaire (Bourse aux matériel CNRS), ou encore dans la gestion de nos données numériques (participation au Digital Clean UP). L’adoption progressive de ces initiatives et de ces bonnes pratiques constitue autant de leviers pour diminuer notre empreinte carbone.
Quand les GT se rencontrent… le réseau Archéo en transition
Notre activité en archéologie soulève de nombreux questionnements propres à notre activité. Pour se motiver, s’inspirer mais aussi, nous l’espérons, présenter nos avancées, nous avons rejoint très récemment le réseau « Archéo en transition ». Ce réseau permet à des archéologues de différents horizons (CR, collectivité territoriales, archéologie préventive…) de partager leur état d’esprit et leur engagement face à l’urgence climatique, l’état d’avancement de leurs réflexions et leurs démarches.
Une première rencontre inter-Labo a réuni 7 laboratoires du CNRS à Pessac en novembre 2024 sous l’impulsion des référents développement durable. La matinée était consacrée à des échanges avec les directeurs des unités autour des avancées et des freins ; l’après-midi, les participants se sont réunis autour d’ateliers thématiques (Futur de chercheuses et chercheurs – Comment adapter nos métiers au cadre de la transition écologique ?)
A la suite de ces rencontres, le réseau s’est ouvert à l’ensemble des acteurs de l’archéologie et se réunit par petits groupes en visio-conférence afin d’avancer autour de thèmes ciblés tels que la question des équipements et de leur mutualisation, les actions de nos collègues dans les laboratoires à l’étranger, le listing des mesures déjà adoptées…
Et maintenant on fait quoi ?
Après deux ans d’activité, le groupe PURR peut désormais dresser un premier bilan. Il apparaît que les membres du laboratoire sont informés et (en majorité) bien conscients des enjeux environnementaux. Ainsi, nous avons dépassé le stade de la sensibilisation : l’enjeu réside désormais dans la mise en œuvre des recommandations.
Cependant, Archéorient, comme d’autres laboratoires, se heurte à une tension fondamentale entre l’engagement environnemental et les exigences de la recherche scientifique. Par exemple, comment limiter les déplacements sans sacrifier les missions de terrain ? Comment privilégier la visioconférence sans perdre la convivialité des échanges en présentiel ? Comment poursuive notre engagement sur les terrains archéologiques dans les pays qui n’ont pas les mêmes règles, les mêmes moyens ou la même conscience environnementale (absence de recyclage, utilisation démesurée du plastique, etc.) ?
Cette tension, souvent perçue comme une impasse, doit nous pousser à repenser nos pratiques, à identifier des solutions équilibrées qui nous permettent de concilier l’étude du passé avec la préservation du futur.
Affaire à suivre…
Références
Publication du 6e rapport de synthèse du GIEC, mars 2023 : https://www.ecologie.gouv.fr/actualites/publication-du-6e-rapport-synthese-du-giec
L’accord de Paris, décembre 2015 : https://unfccc.int/fr/a-propos-des-ndcs/l-accord-de-paris
Les auteurs
Sabine Sorin est Ingénieur d’études, spécialiste des relevés 3D et du traitement des données. UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
Bérengère Perello est Chargée de Recherche au CNRS. Elle est archéologue spécialiste de la Turquie et du Caucase protohistoriques et responsable de la Mission Archéologique Caucase du MEAE. UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
Emmanuelle Vila est Directrice de Recherche au CNRS. Archéozoologue, spécialiste de l’Asie du Sud-Ouest. UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
Christophe Benech est chargé de recherche au CNRS, spécialiste en géophysique appliquée à l’archéologie. UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
Tim Mibord est doctorant en archéozoologie à l’Université Lumière Lyon 2, UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
Marie-Odile Rousset est archéologue, Directrice de recherche au CNRS, spécialiste du Proche-Orient médiéval. Elle travaille sur le peuplement diachronique des Marges arides et du Massif calcaire de Syrie du Nord. UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sabine Sorin, Bérengère Perello, Emmanuelle Vila et al. (6 juin 2025). Le groupe PURR-Archéorient – Pour une Recherche Responsable à Archéorient. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 22 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/142e9