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Archéologie et coopération en Palestine : le programme de fouilles archéologiques sur le site de Tulul ‘Anabta

Le site archéologique de Tulul ‘Anabta est aujourd’hui localisé dans le gouvernorat de Tulkarem, au sein de la ville moderne d’Anabta qui compte environ 8000 habitants dans le nord des Territoires palestiniens (fig. 1). Ce secteur est rattaché à la Zone A de partition de la Cisjordanie, dépendant de l’Autorité palestinienne et du Département des Antiquités et du Tourisme palestinien. Entre 2021 et 2023, le site a fait l’objet de trois campagnes de fouilles sous la direction de Wael Abu-Azizeh (aujourd’hui enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2, Archéorient). Depuis 2025, un nouveau projet intitulé TAFPAM (Tulul ‘Anabta French Palestinian Archaeological Mission) a été élaboré par Blandine Besnard (Responsable d’opération à Éveha International, chercheuse associée au laboratoire Archéorient et à l’Institut Français du Proche-Orient, Ifpo) et Ghassan Nagagreh (Assistant Professor à l’Université Dar al-Kalima de Bethléem) dans l’optique de poursuivre les fouilles et les recherches archéologiques sur le site. Ce projet est financé et soutenu par la Commission des fouilles archéologiques du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères, l’Ifpo, le laboratoire Archéorient (UMR 5133), Éveha International et l’université Dar al-Kalimah de Bethléem.

Fig. 1 : Localisation de Tulul ‘Anabta et d’autres sites de l’âge du Bronze mentionnés dans le texte (@PaLP, TAFPAM)
Historique des recherches sur le site de Tulul ‘Anabta 

Le site de Tulul ‘Anabta a été prospecté pour la première fois dans les années 1980 (Zertal 2004, site n°167). Le ramassage de surface avait alors indiqué que 8% de la céramique datait de l’époque chalcolithique (4500-3700 av. n. è.), 82% de l’âge du Bronze Ancien (BA) I (3700-3000 av. n. è.) et 10% du BA II (3000-2800 av. n. è.). L’absence de matériel significatif pour les périodes postérieures augmentait la probabilité que les vestiges protohistoriques n’aient pas été perturbés par une occupation récente. C’est dans l’optique de mieux comprendre ces périodes anciennes, que W. Abu-Azizeh, alors responsable de l’antenne de l’Ifpo à Jérusalem, a initié un programme de fouille sur le site en 2021. En collaboration avec l’Ifpo, le Département des Antiquités palestinien et l’université an-Najah de Naplouse, trois campagnes sont menées jusqu’en 2023. Quatre secteurs sont alors ouverts (fig. 2) et un chantier-école est mis en place pour former de jeunes étudiants palestiniens aux méthodes archéologiques (fig. 3).

Fig. 2 : MNT (haut) et image satellite (bas) du site de Tulul ‘Anabta avec la localisation des secteurs de fouille (@PaLP)
Fig. 3 : Des étudiants palestiniens apprennent les méthodes du relevé archéologique (@PaLP, TAFPAM)

Les résultats obtenus confirment ceux de la prospection puisqu’une ville fortifiée de 4 ha datée du BA est peu à peu mise au jour. L’étude du mobilier archéologique collecté en contexte stratifié permettra de préciser et d’affiner la séquence chronologique d’occupation sur le site au cours du BA. La question de l’origine de l’implantation sur le site, et des modalités de développement de l’agglomération urbaine est un aspect crucial de cette étude.

C’est ainsi que dans les secteurs 1 et 4, plusieurs sections d’un mur de fortification et de son glacis en terre ont été découverts (fig. 4). À l’intérieur des fortifications, le secteur 4 a également livré les vestiges denses et particulièrement bien conservés d’espaces liés à la sphère domestique ainsi qu’un four et une citerne. Un autre édifice domestique daté du BA a été partiellement exploré dans le secteur 3. Au sein du secteur 2, c’est un vaste édifice public, possiblement religieux ou administratif, qui a concentré l’attention des équipes (fig. 5). Cet édifice comprend à ce jour trois espaces et présente des caractéristiques architecturales tout à fait hors du commun puisque certains murs atteignent plus d’un mètre d’épaisseur. Il est également doté de plusieurs structures circulaires (des autels ?) et d’une seconde citerne qui a été entièrement fouillée. La fouille a permis de constater que cette citerne était composée d’un puits d’accès maçonné d’environ 1,2 m de diamètre et d’une chambre souterraine creusée sur 8 m de profondeur dans le substrat calcaire. A la base du remplissage sédimentaire de cette installation hydraulique, une quantité abondante de céramique a été collectée, comprenant 13 pots entiers présentant des parallèles typologiques avec la céramique dite d’Abydos datée du BA II (Sala 2010) (fig. 6). En outre, un sondage réalisé jusqu’au socle rocheux dans ce même secteur a permis la mise au jour de restes architecturaux bien plus modestes sous les premiers niveaux d’occupation. Ces vestiges posent la question d’une possible phase d’occupation distincte (villageoise ?), datée de la période chalcolithique ou du tout début du BA, antérieure à l’agglomération urbaine sur le site de Tulul ‘Anabta.

Fig. 4 : Le mur de fortification dans le secteur 4 (@PaLP)
Fig. 5 : Photogrammétrie du secteur 2 à la fin de la campagne 2021 (@PaLP)
Fig. 6 : La dernière couche de comblement de la citerne du secteur 2 en train d’être fouillée (@PaLP)

Les premières campagnes ont ainsi montré que Tulul ‘Anabta, qui pourrait avoir été occupé dès le Chalcolithique, s’insère dans le premier processus d’urbanisation de la région sud-levantine au début du BA (Miroschedji 2018). Ce phénomène témoigne de l’apparition de villes fortifiées comme celles découvertes sur les sites de Tell el-Far’ah, et-Tell, Tell el-Mutasallim (Megiddo), Tell el-Qadi (Hazor) ou encore Khirbet el-Yarmuk (Yarmouth, fig. 1) (Greenberg 2019 ; Herzog 1997). L’exploration archéologique de ces agglomérations permet à la fois d’étudier les caractéristiques de populations urbaines en plein essor mais aussi de compléter les recherches sur la première urbanisation de la région, ainsi que de mieux comprendre le phénomène de désurbanisation qui s’amorce vers 2400 av. n. è. (Miroschedji 2009 ; Vézy 2020). Tulul ‘Anabta est alors déserté et ne sera plus jamais réoccupé. Ces oscillations, entre phases d’urbanisation et de désurbanisation, sont bien documentées à travers les fouilles nombreuses et extensives développées en Israël, dont plusieurs sont encore actives aujourd’hui (e. g. Finkelstein, Martin, Dunseth eds. 2022 ; Mazar, Panitz Cohen 2020). En Cisjordanie, les données existent, mais commencent à être obsolètes (e. g. Albright 1938 ; Callaway 1976 ; Mallet 1987). À ce jour, les fouilles dédiées aux vestiges du BA sont limitées à l’exploration palestino-italienne de Jéricho (Nigro 2020), et, depuis peu, à la fouille de Tulul ‘Anabta.

Le projet de la TAFPAM (Tulul ‘Anabta French Palestinian Archaeological Mission)

Le projet de la TAFPAM est réalisé dans le cadre d’un financement ministériel qui s’étend sur quatre années (2025-2028). Les volets scientifiques s’attacheront à reprendre les recherches liées aux prémices de l’urbanisation dans la région cisjordanienne ainsi qu’à développer certains axes qui n’ont jamais vraiment retenu l’attention de la communauté archéologique jusqu’à ce jour. Le premier enjeu sera de poursuivre la fouille des secteurs 2, 3 et 4 et d’explorer une nouvelle zone de fouille. En outre, une prospection jusqu’à 3 km aux alentours du site aura pour objectif de faire le point sur les ressources en eau localisées en contrebas et à proximité du site afin notamment de recontextualiser les installations hydrauliques de l’espace intra-muros. Cette prospection sera également l’occasion de localiser les abris-sous-roche, lieux privilégiés des inhumations durant le BA, mais aussi des périodes plus tardives (Bloch-Smith 2003). Il est ainsi prévu de fouiller un à deux ensembles funéraires. En outre, un examen approfondi des vestiges bâtis contribuera à la compréhension générale de Tulul ‘Anabta.  Un Système d’Information Géographique sera également développé pour intégrer les données du site et de ses environs. Il s’agira également de procéder à l’examen de l’ensemble du mobilier collecté entre 2021 et 2023 – aujourd’hui dans les réserves du Département des Antiquités de Ramallah – et des artefacts qui seront collectés lors de fouilles à venir (2025-2028).

Les travaux archéologiques sont envisagés comme un chantier-école en partenariat avec l’Université Dar al-Kalima de Bethléem et l’Ifpo. Ainsi, une dizaine d’étudiants palestiniens sera formée aux méthodes de fouille, de prospection, d’enregistrement et de traitement du mobilier. Plusieurs ateliers de médiation seront également prévus. Ils permettront de sensibiliser un large public (enfants comme adultes) à l’archéologie avec des ateliers pratiques (à l’aide de bacs de fouille par exemple), ainsi que théoriques, en lien avec la prévention du pillage archéologique. Un projet de mise en place de panneaux explicatifs à proximité de chaque secteur est également en cours de développement. Le volet médiation, ainsi que la fouille et le chantier-école, feront l’objet de plusieurs expositions photographiques afin de présenter le travail pédagogique réalisé avec les étudiants et les superviseurs de chantier ainsi que les spécialistes. Enfin, la documentation régulière du travail sous forme d’enregistrements sonores (entretiens, sons d’ambiance) aura pour objectif de produire un podcast en plusieurs épisodes et saisons.

Valoriser le site archéologique de Tulul ‘Anabta et les travaux de la TAFPAM : le festival Places auX Mondes

Dans le cadre d’un jumelage entre les municipalités d’Anabta et de Bouguenais (Loire-Atlantique), la TAFPAM s’est naturellement associée l’Association Bouguenais Jumelage Coopération (ABJC) dans le but de promouvoir la coopération franco-palestinienne autour du site de Tulul ‘Anabta. Le samedi 28 mars 2025, W. Abu-Azizeh et B. Besnard ont été invités par les membres de l’ABJC à donner une première conférence à Bouguenais dans le cadre du festival Places auX Mondes, organisé par la Métropole de Nantes, afin de présenter à un grand public le site de Tulul Anabta, les résultats obtenus pendant les premières phases de travaux sur le site, et le nouveau projet de la TAFPAM. À cette occasion, plusieurs photos de la campagne 2023 ont été exposées dans la salle de la Grande Ouche (fig. 7), et trois ateliers de médiation visant à faire connaître les méthodes et les métiers de l’archéologie en lien avec le site de Tulul ‘Anabta ont été animés par deux membres du musée du Chronographe de Rezé.

Fig. 7 : Quelques photos exposées lors du festival Places auX Mondes (@TAFPAM)

Ce moment d’échange autour d’un site et d’un projet archéologique franco-palestinien a ainsi favorisé la sensibilisation d’un public jeune et moins jeune à l’archéologie du BA et du Chalcolithique, souvent moins visible que celle des périodes récentes. Il a aussi permis de rendre compte des conditions de la pratique de l’archéologie de terrain en Palestine. D’autres conférences et évènements similaires sont envisagés par l’équipe de la TAFPAM durant les quatre prochaines années du programme quadriennal afin de continuer à présenter les avancées du projet.

Ces initiatives permettront d’impliquer différents acteurs de la société civile, à l’échelle locale et internationale, autour de la fouille d’un site archéologique de l’âge du BA en Palestine, et participeront à valoriser les travaux et les résultats scientifiques de la TAFPAM.

Bibliographie

Albright W. F. 1938. The Excavation of Tell Beit Mirsim. Vol. II: The Bronze Age, The Annual of the American Schools of Oriental Research 17, xi-141.

Bloch-Smith E. 2003. Bronze and Iron Age Burials and Funerary Customs in the Southern Levant, in : S. Richard (ed), Near Eastern Archaeology: A Reader, Winona Lake, Eisenbrauns, 105-115.

Callaway J. 1976. Excavating Ai (Et-Tell): 1964-1972, The Biblical Archaeologist 39/1, 18-30.

Finkelstein I., Martin M. A. S., Dunseth Z. C. 2022. Megiddo VI: the 2010-2014 seasons, University Park, Eisenbrauns.

Greenberg R. 2019. The archaeology of the Bronze Age Levant: from urban origins to the demise of city-states, 3700-1000 BCE, Cambridge, Cambridge University Press.

Herzog Z. 1997. Archaeology of the city: urban planning in ancient Israel and its social implications, Tel Aviv, Emery and Claire Yass Archaeology Press.

Mazar A., Panitz-Cohen N. 2020. Tel Reov: a Bronze and Iron Age city in the Beth-Shean Valley, Jérusalem, The Hebrew University of Jerusalem.

Mallet J. 1987. Tell el-Farāh, Paris, Recherche sur les civilisations.

Miroschedji de P. 2009. Rise and collapse in the Southern Levant in the Early Bronze Age. Scienze dell-Antichita, Storia Archeol. Antropol. 15, 101-129.

Miroschedji de P. 2018. The Urbanization of the Southern Levant in Its Near Eastern Setting, Origini Preistoria e Protostoria delle civiltà – Prehistory and protohistory of ancient civilizations 42/2, 109-137.

Nigro L. 2020. The Italian-Palestinian Expedition to Tell es-Sultan, Ancient Jericho (1997–2015): Archaeology and Valorisation of Material and Immaterial Heritage, in : R. T. Sparks, B. Finlayson, B. Wagemakers, J. M. Briffa (eds), Digging Up Jericho: past, present and future, Oxford, Archaeopress publishing, 175-214.

Vézy P. 2020. La désurbanisation du Levant sud au Bronze Ancien IV: retour sur une question controversée, Mémoire de Master, Université Lumière Lyon 2 (inédit).

Zertal A. 2004. The Manasseh hill country survey, Leiden, Brill.

Les auteurs

Blandine Besnard est archéologue, spécialiste des questions hydrauliques en contexte urbain durant l’âge du Bronze au Levant sud. Elle est actuellement Responsable d’opération chez Éveha International et chercheuse associée au laboratoire Archéorient et à l’Ifpo. Elle a depuis 2025 pris la co-responsabilité de la mission archéologique du site de Tulul ‘Anabta en Cisjordanie.

Ghassan Nagagreh est archéologue et céramologue, spécialiste des périodes de l’âge du Bronze en Palestine. Il est depuis 2022 Assistant Professor à l’université Dar al-Kalima de Bethléem et a depuis 2025 pris la co-responsabilité de la mission archéologique du site de Tulul ‘Anabta en Cisjordanie.

Wael Abu-Azizeh est enseignant-chercheur à l’Université de Lyon 2 et membre du laboratoire Archéorient. Il a initié le programme de fouilles archéologiques sur le site de Tulul ‘Anabta alors qu’il était responsable de l’antenne de l’Institut français du Proche-Orient à Jérusalem, de 2019 à 2023.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Blandine Besnard, Ghassan Nagagreh et Wael Abu-Azizeh (18 avril 2025). Archéologie et coopération en Palestine : le programme de fouilles archéologiques sur le site de Tulul ‘Anabta. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13rv0


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