L’Atlas des déserts
Les Éditions Autrement sont une maison d’édition généraliste qui publie, entre autres, des atlas. Références bien connues des étudiant·es et des enseignant·es de tous niveaux pour la richesse des documents qu’ils recèlent, ils sont aussi de beaux objets pour les passionné·es d’un espace ou d’une thématique. Si les Atlas « Mémoires » traitent d’un espace sur l’ensemble de sa chronologie et sont en cela peut-être déjà passés entre nos mains (Atlas de l’Égypte Ancienne, Atlas historique de la Méditerranée, Atlas historique du Moyen-Orient ou encore Atlas historique de l’Afrique), les Atlas « Monde » traitent de tous les sujets pouvant intéresser les géographes (littoraux, religions, biodiversité, migrations, femmes, pour citer quelques parutions récentes). Tous les sujets ? Si beaucoup de thématiques ou d’espaces sont couverts, les objets spatiaux sont restés longtemps un peu dans l’angle mort de la collection : les forêts ont été traitées pour la première fois en 2022 et les glaciers très récemment, en septembre 2024. Il manquait encore à la collection un atlas des déserts, mettant en avant les problématiques et les enjeux propres à des espaces qui, s’ils sont présents dans notre langage courant, nos imaginaires, nos représentations, voire nos travaux de recherche – en particulier à Archéorient ! – n’en sont pas moins assez mal connus et largement sujets aux clichés, à l’exotisme ou au rejet du fait des conditions climatiques qui y règnent.
À l’origine du projet éditorial : recherche et belles rencontres
Le samedi 1er octobre 2022, je participais à la 33e édition du Festival International de Géographie (FIG) de Saint-Dié des Vosges, consacrée aux déserts. À la fin d’une conférence que je donnais avec deux collègues, intitulée « Déserts d’hier et d’aujourd’hui : regards croisés sur les paysages (Pérou, Égypte, Tunisie) » Anne Lacambre, directrice littéraire aux Éditions Autrement en charge des Atlas, descend les marches de l’amphi et vient me parler. Nous nous suivions mutuellement sur les réseaux sociaux académiques et j’étais ravie de faire enfin sa connaissance en chair et en os (et en masque). Après quelques échanges sur le contenu de la conférence, nous faisons le constat d’une lacune dans la collection, qu’Anne me propose, tout bonnement, de combler ! Si vous avez déjà dû contenir une joie immense, une profonde excitation et un poil d’incrédulité pour rester concentrée et poursuivre une conversation, vous devez pouvoir imaginer mon état sur le moment. Le projet était lancé.
Au centre du questionnement : définir les déserts
La première étape a été de se mettre d’accord – avec moi-même, puis avec Anne – sur ce qu’on entendait par déserts : les déserts chauds étaient une évidence, mais que faire des déserts froids ? Où placer la limite ? Quels espaces précisément étaient concernés ? La question la plus fondamentale et épineuse était alors posée : comment définir les déserts ? Quels sont les critères permettant de dire que tel espace est un désert ou non ?
Autour de cette question centrale, il s’est alors agi de déterminer quels étaient les grands axes permettant de saisir la complexité des déserts dans toutes leurs dimensions, en tentant d’éviter l’écueil de ne parler que du plus connu de ceux-ci, le Sahara. Une fois le plan établi, le travail de recherche a commencé : l’ouvrage est composé de cinq grandes parties qui organisent 36 double-pages, sans compter introduction et annexes. Chaque double-page aborde un thème transversal concernant les déserts à partir d’exemples illustrés par des cartes mais aussi des schémas, des graphiques, des chronologies. La première étape a donc été de recueillir des données et des documents, en consultant des manuels (Demangeot et Bernus, 2001 ; Goudie, 2002 ; Harris, 2003 ; Mainguet, 1995 ; Monod, 1973), des ouvrages spécialisés sur les déserts, mais aussi des articles ou des thèses récentes, abordant les thématiques étudiées. Ça a été un véritable bonheur de chercheuse que d’aller lire des travaux de géographes, mais aussi d’anthropologues (Ruhlmann, 2006 ; Walsh, 2008), de géologues, d’archéologues (Honegger et Williams, 2015 ; Reddé, 2018), de climatologues (Hartley et al., 2015), de géomorphologues (Cooke et al., 1993 ; Mestoul, 2021) ou de politologues, sur des espaces aussi variés que l’Arctique (Joliet et Chanteloup, 2020), le Xinjiang, l’Australie, l’Arizona (Boyer et al., 2022), le Sahara évidemment (Frérot, 2011 ; Roux, 1996), mais encore le Gobi, la Patagonie et … les Landes de Gascogne (Aldhuy, 2006) ! La bibliographie et les références citées sur les figures donnent une idée de la richesse de la production scientifique sur le sujet.
Des cartes, des textes, et beaucoup d’échanges
Toutes ces données ont été fournies à la cartographe, Aurélie Boissière, chargée de mettre en forme mes propositions (parfois un peu trop enthousiastes ou foisonnantes) et de donner corps à mes idées et parfois à mes envies, comme cette classification des paysages du vent (p. 21) ou la map d’Assassin’s Creed (p. 88). Quiconque a ouvert l’atlas pour le feuilleter peut constater la qualité de son travail, la finesse des choix de représentation, la justesse scientifique et la maîtrise esthétique des 90 documents produits.
Une fois le corpus de documents fixé, les textes ont suivi, nécessairement courts et concis, du fait de la place donnée à l’illustration et des contraintes de la maquette. La conception de l’atlas a reposé sur de nombreux allers-retours entre nous trois, éditrice, cartographe et autrice. On notera que le calendrier a été un peu bousculé et que j’ai emporté un peu d’Atlas dans mes valises en partant pour la mission archéologique de Bat/al-Arid ! Travaux de terrain, relevés et prospections le matin, production des derniers textes et relecture de la maquette l’après-midi dans le « petit salon » de notre maison de fouille omanaise, ou au retour d’une nuit dans le désert qui avait tenu toutes ses promesses en termes de processus éoliens !
Embrasser la diversité
Il m’a semblé essentiel, dans un premier temps, de m’attarder sur l’interrogation initiale, de dégager des critères (climatiques, hydrographiques, morphologiques) pour identifier les déserts, de montrer ce qui les caractérisait et d’essayer d’en dégager des éléments de classification et de typologie, en prenant en compte – la géoarchéologue n’est jamais loin – l’importance des héritages et de la longue durée dans leur formation. Si cette première partie est très orientée vers la géographie physique et s’attache à décrire en termes simples les processus – parfois complexes – ayant amené à la formation des déserts et au maintien de ces milieux, les quatre parties suivantes ressortissent plus largement de la géographie humaine et culturelle, de la géopolitique, voire de l’ethnologie.
En prenant un peu le contrepied des appréhensions habituelles des déserts comme espaces vides où rien ne pousse ni ne se passe, la deuxième partie les envisage au contraire comme d’importantes réserves de ressources, qu’elles soient foncières, hydriques, agricoles, en hydrocarbures ou en matières premières, mais aussi de ressources économiques via le tourisme, dont la part ne cesse de croître, malgré les tensions géopolitiques, du fait d’une fascination pour des espaces extrêmes, en témoigne l’apparent paradoxe du tourisme de la dernière chance dans les déserts froids (p. 40-41). Cette appréhension sous l’angle des ressources met aussi l’accent sur les mises en valeur par les sociétés humaines, et ce dans la longue durée.
Il importe alors de se pencher – c’est l’objet de la troisième partie – sur les modes de cette mise en valeur, en abordant les questions de nomadité et de sédentarité, d’irrigation et d’agriculture, mais aussi de l’urbanisation, des circulations et des grands projets d’aménagement qui prennent place dans les déserts. À ce titre, j’aime beaucoup la carte des populations nomades dans les déserts, incluse dans la double-page sur le peuplement des déserts (44-45), en ce qu’elle permet une synthèse (que je n’ai trouvée nulle part ailleurs), de toutes les populations désertiques pratiquant une forme de nomadisme, et les principaux animaux impactés par cette pratique, qu’ils soient chassés ou élevés.
Ces modes de mise en valeur, d’appropriation des territoires ou simplement de vie dans les déserts peuvent engendrer des tensions, des conflits et provoquer des risques, bien qu’on conçoive largement ces espaces comme vides, éloignés des centres décisionnels voire en marge de l’œkoumène. La présence de ressources et leur exploitation potentielle entraînent des convoitises, tandis que les pratiques développées peuvent être, elles-mêmes, sources de risques pour les populations et le milieu : pollutions, épuisement des ressources, changement climatique, famines, luttes armées, terrorisme, trafics, risques que peinent à endiguer les diverses protections mises en place dans les déserts.
Ces conflits reposent largement sur des conceptions divergentes des espaces désertiques, ce que montre bien la carte de l’évolution du tourisme à Uluru (p.73). Car c’est peut-être une des récurrences les plus importantes : les déserts, quel que soit leur type et où qu’ils se trouvent, fascinent et génèrent chez nous des représentations associées tant à l’orientalisme qui, en Europe, a beaucoup contribué à forger des images de ces espaces lointains, qu’à l’exotisme des brochures touristiques, des évènements sportifs, et qu’à la fascination pour les populations qui font de ces milieux aux conditions extrêmes leur habitat quotidien. Ces représentations trouvent leur place dans les imaginaires des personnes qui habitent les déserts autant que de celles qui en ont une appréhension picturale, littéraire, poétique, cinématographique, vidéoludique et même religieuse ou encore académique, comme en témoigne la dernière carte recensant les connaissances et perceptions des déserts par des étudiants et des étudiantes (p.90).
Pour finir, la diversité des déserts se retrouve dans les annexes, qui fournissent un lexique des termes centraux pour la connaissance des déserts, de l’agriculture irriguée à la zone de convergence intertropicale, en passant par le chott, l’erg, les kaluts, le qanat, le salar ou le yardang. Une filmographie organisée par lieux de tournage et genre permet de poursuivre l’exploration, sur grand écran, de ces lieux symboliquement chargés et si photogéniques. Car, et cela justifie peut-être à soi seul la réalisation d’un atlas sur le sujet, « le désert est plus beau que tout. Lui seul émeut comme la mer. » (Colette, Pays connu, 1949).
J’espère que cet ouvrage permettra de faire découvrir la diversité des déserts, des problématiques qui les touchent, des personnes qui les peuplent, les transforment ou les protègent et participera à partager ce que j’ai moi-même reçu notamment grâce à Yann Callot (professeur de géographie à Lyon 2, Archéorient) depuis notre première mission à Wadi Ramm en 2011 : le goût des déserts, de leur étude et de leur fréquentation.
Bibliographie
Aldhuy J., 2006. Identités, territorialités et recompositions territoriales : les Landes de Gascogne, la Chalosse et le département. Thèse de doctorat de l’université de Pau.
Boyer A.-L., Le Lay Y.-F. et Marty P., 2022. « L’adaptation urbaine à la rareté de l’eau à Phoenix et à Tucson (Arizona) : une approche de political ecology », Cybergeo: European Journal of Geography 1002.
Cooke R.U., Warren A., Goudie A., 1993. Desert geomorphology. Londres, UCL Press
Demangeot, J., Bernus, E., 2001. Les milieux désertiques, Collection U. A. Colin, Paris.
Frérot A.-M., 2011. Imaginaires des Sahariens : habiter le paysage, Géographie. CTHS, Paris.
Goudie, A., 2002. Great warm deserts of the world: landscapes and evolution, Geomorphological landscapes of the world. Oxford University Press, Oxford ; New York.
Harris, N., 2003. Atlas of the world’s deserts. Fitzroy Dearborn, New York.
Hartley A.J., Chong G., Houston J., Mat her A.E., 2005. « 150 million years of climatic stability: Evidence from the Atacama Desert, northern Chile ». Journal of the Geological Society 162, 421–424.
Honegger M., Williams M., 2015. Human occupations and environmental changes in the Nile valley during the Holocene: The case of Kerma in Upper Nubia (northern Sudan). Quaternary Science Reviews, The Quaternary History of the River Nile 130, 141–154.
Joliet F., Chanteloup L., 2020. « Le prisme des représentations paysagères arctiques des Inuits et des Qallunaat : l’exemple du Nunavik (Canada) », Géoconfluences. En ligne.
Mainguet, M., 1995. Les déserts, Explora. Pocket Cité des sciences et de l’industrie, Paris.
Mestoul D., 2021, « Dynamique d’ensablement dans le Gourara au sud de l’Algérie : origines, facteurs d’aggravation anthropiques et perspectives ». Géomorphologie : relief, processus, environnement 27 (1), 53-67.
Monod, T., 1973. Les Déserts. Horizons de France, Paris.
Reddé M., 2018. « The Fortlets of the Eastern Desert of Egypt », in Brun J.-P., Faucher T., Redon B., Sidebotham S. (Eds.), The Eastern Desert of Egypt during the Greco-Roman Period: Archaeological Reports, Institut des civilisations. Collège de France, Paris.
Roux M., 1996. Le Désert de sable : le Sahara dans l’imaginaire des Français, 1900-1994, Histoire et perspectives méditerranéennes. Éd. l’Harmattan, Paris.
Ruhlmann S., 2006. Le partage des prémices et du fond de la marmite. Essai d’anthropologie des pratiques alimentaires chez les mongols Xalx. Thèse de doctorat. École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Paris.
Walsh F. 2008. To hunt and to hold: Martu Aboriginal people’s uses and knowledge of their country, with implications for co-management in Karlamilyi (Rudall River) National Park and the Great Sandy Desert, Western Australia. Thèse de doctorat, University of Western Australia.
L’autrice
Ninon Blond est maîtresse de conférences en géographie à l’ENS de Lyon, spécialiste de géoarchéologie et d’évolution des socio-écosystèmes dans les milieux désertiques. Elle est membre de l’UMR 5600 EVS et associée à l’UMR 5133 Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Ninon Blond (11 avril 2025). L’Atlas des déserts. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 27 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13qro