L’assyriologie au Brésil. Présentation du Laboratoire du Proche-Orient Ancien (LAOP) de l’Université de São Paulo
Les études en assyriologie et sur le Proche-Orient ancien sont en ce début de XXIème siècle en pleine expansion de par le monde, avec le développement de nouveaux centres de recherche en dehors du circuit déjà bien établi de l’ensemble composé par l’Europe et les États-Unis. La situation évolue en effet dans les pays émergents, notamment en Asie (Chine) et en Amérique Latine (Brésil, Argentine). Le Brésil compte ainsi en 2025 deux laboratoires spécialisés sur le Proche-Orient ancien : le Laboratoire d’Études sur l’Antiquité Orientale (LEAO) de l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS) et le Laboratoire du Proche-Orient Ancien (LAOP) de l’Université de São Paulo (USP).
Le LAOP, rattaché au département d’Histoire de l’Université de São Paulo, a été fondé en 2011 par les professeurs Marcelo Rede et Carlos Gonçalves, qui assurent depuis lors la co-direction du laboratoire. A l’heure actuelle, l’équipe est constituée d’une vingtaine de membres, réunissant des enseignants-chercheurs, des chercheurs associés, des post-doctorants et des étudiants. Parmi ces derniers, on dénombre quatre doctorants et cinq étudiants de Master, auxquels viennent s’ajouter plusieurs étudiants de Licence insérés dans les programmes d’Initiation Scientifique (sous la désignation « IC » en portugais). Propres aux universités brésiliennes, ces programmes offrent aux étudiants l’opportunité de s’initier à la recherche et de réaliser un travail comparable à celui d’un mémoire de Master 1 en France. Dans le cas du LAOP, cela implique aussi l’insertion de ces étudiants au sein de l’équipe de recherche, où ils sont amenés à interagir dès leurs premières années à l’université avec des chercheurs plus expérimentés de différents niveaux (Master, Doctorat, Post-Doctorat). Au-delà des activités de recherche, les étudiants jouent aussi un rôle actif dans l’organisation d’événements, comme des colloques, et dans la gestion du site et des pages du laboratoire sur les réseaux sociaux, contribuant à la diffusion des activités du LAOP auprès d’un vaste public.
1. Des thématiques de recherches d’une grande diversité
Comme son nom l’indique, le LAOP réunit des chercheurs intéressés par le Proche-Orient ancien au sens large. Si le centre de gravité demeure l’étude des sociétés de Mésopotamie, la Perse ancienne, la côte Levantine et l’Égypte font également partie des axes de recherches de nombreux participants. A cette étendue géographique vient s’ajouter un ample cadre chronologique, allant du IIIème millénaire av. J.-C. à l’époque hellénistique, abordant ainsi des corpus diversifiés. Il s’agit surtout de sources textuelles, mais l’iconographie et l’archéologie occupent aussi une place importante.
Le LAOP, par son intégration dans le département d’Histoire, participe au programme de Pós-Graduação (Master, Doctorat) en Histoire Sociale de la USP. La dimension sociale, économique et culturelle occupe donc une place importante dans l’étude de la documentation. Il en résulte des réflexions sur des thématiques variées : histoire économique et sociale (groupes familiaux et gestion du patrimoine), histoire des sciences (mathématiques mésopotamiennes), iconographie (bas-reliefs néo-assyriens, stèles égyptiennes), archéologie de l’espace domestique (notamment en Égypte), histoire des animaux (interactions entre populations humaines et faune dans la documentation suméro-akkadienne), études de genre (femmes dans la documentation épistolaire paléo-assyrienne ; eunuques dans les cours des empires néo-assyrien et perse), construction et préservation des identités (populations déportées à l’époque néo-babylonienne ; situation du clergé babylonien sous l’empire perse ; question des populations medjay en Egypte). La diversité des approches encourage les membres du laboratoire à développer une vision à la fois spécialisée et transversale sur le Proche-Orient ancien, où sont comparés différents corpuset plusieurs sociétés, mettant ainsi en évidence les particularités à plusieurs niveaux (selon les corpus, régions, ensembles culturels et époques).
2. Un laboratoire engagé dans la formation des jeunes chercheurs et ouvert sur la société brésilienne
Par son rattachement à l’Université de São Paulo, le LAOP contribue activement à la formation des étudiants de l’institution, notamment à travers plusieurs cours consacrés au Proche-Orient ancien, en particulier au niveau de la « Pós-Graduação », qui réunit l’offre de cours dispensée aux étudiants de niveau Master et Doctorat. Les cours proposés par le LAOP sont variés, comprenant aussi bien des cours théoriques consolidant la méthodologie de recherche des étudiants que des cours de langues anciennes.
Des premiers cours d’initiation à la langue akkadienne ont été délivrés par le professeur Carlos Gonçalves, tout d’abord sous la forme de séminaires au sein du laboratoire, puis en tant que cours dits de « Extensão » (optionnels), avec la contribution du professeur Marcelo Rede, du post-doctorant Leandro Penna Ranieri et de la doctorante Anita Fattori (2018-2019). En 2023, un cours d’Akkadien de niveau de Pós-Graduação a été proposé par l’auteur de ce billet et post-doctorante du LAOP Andréa Vilela, franco-brésilienne et également membre associée au laboratoire Archéorient (UMR 5133), offrant une présentation des bases grammaticales de la langue. L’initiative a réuni une vingtaine d’étudiants et un niveau plus avancé, où seront étudiés des textes cunéiformes, est prévu pour l’année 2025 sous la responsabilité de la même enseignante. De même, l’égyptologue Thais Rocha da Silva, anciennement post-doctorante du LAOP et actuellement en poste à l’Université Fédérale de Minas Gerais, a fait un cours d’initiation à la lecture des hiéroglyphes ainsi que des cours d’archéologie égyptienne.
Des cours intensifs d’une semaine peuvent aussi être proposés, notamment à l’occasion des séjours de professeurs et chercheurs invités, par exemple à l’occasion de colloques ou de conférences. Grâce à ces diverses initiatives, le laboratoire offre aux étudiants de la USP la possibilité d’assister à des cours de spécialistes reconnus internationalement et d’échanger avec eux. Il en résulte un enrichissement intellectuel et méthodologique des jeunes chercheurs brésiliens, ainsi qu’une insertion précoce dans un réseau pouvant aboutir à des collaborations futures.
Le LAOP se préoccupe également de garantir la visibilité des travaux de recherches et des activités effectuées, se souciant de leur diffusion auprès du public universitaire et de la société brésilienne de manière générale. Au-delà de sa page web, le laboratoire est aussi très présent sur les réseaux sociaux pour diffuser les événements organisés (colloques, séminaires, conférences) ainsi que les publications de ses membres (dont bon nombre sont en Open Access). A ces initiatives vient également s’ajouter la mise en ligne début 2025 d’un Blog intitulé « Bíblia, História et Arqueologia » (BHA), réunissant des contributions des membres du laboratoire situant les sources bibliques dans le contexte supra-régional du Proche-Orient Ancien en ce qui concerne les aspects culturel, religieux et politique.
3. Une dynamique d’échanges : les séminaires et colloques
L’une des caractéristiques du LAOP consiste à encourager une intense dynamique d’échanges entres membres de différents niveaux d’expérience, et ce dès la Licence. Cette logique de dialogue entre étudiants et chercheurs expérimentés, très marquée dans les universités brésiliennes, se manifeste tout particulièrement au sein de ce laboratoire.
Cet aspect est au cœur des Séminaires dédiés à l’histoire du Proche-Orient ancien (HistAOP – Tópicos em História do Antigo Oriente Próximo), se déroulant depuis 2019, et dont l’initiative revient au Dr. Leandro Penna Ranieri. Les membres de l’équipe sont invités à y présenter leurs travaux en cours (projets de recherches, chapitres de mémoire ou de thèse, ébauches d’articles…) à leurs pairs. Cela permet aux étudiants de différents niveaux d’obtenir un retour de la part des autres chercheurs du laboratoire, améliorant ainsi leur méthodologie. Depuis 2019, les rencontres ont été organisées par différents post-doctorants du LAOP : tout d’abord Leandro Penna Ranieri (2019-2022), puis Andréa Vilela (2022-2024) et Matheus Treuk Medeiros de Araújo (2022-2023 ; 2025). Les rencontres, bien que consacrées aux présentations de travaux des membres du laboratoire, sont ouverts à la présence d’auditeurs libres et aux étudiants de la USP intéressés par le Proche-Orient ancien, contribuant ainsi à la diffusion des recherches sur cette thématique dans l’institution d’accueil.
Depuis 2021 ont également lieu les Séminaires d’Egyptologie, organisés par le professeur Thais Rocha da Silva. Il s’agit de conférences en ligne de chercheurs reconnus au niveau international, offrant l’occasion aux étudiants d’échanger avec des spécialistes issus de différentes universités européennes, américaines et égyptiennes, les intégrant ainsi dans un réseau d’échanges internationaux.
Ces dernières années, plusieurs étudiants ont aussi manifesté un intérêt pour la Babylonie au Ier millénaire av. J.-C., en particulier pour la période achéménide (539-330 av. J.-C.). Cela a abouti à la mise en place, en 2023, du groupe d’études achéménides Pārsa, sous la responsabilité du post-doctorant du LAOP Matheus Treuk Medeiros de Araújo. Les rencontres consistent en présentations de travaux de membres du laboratoire, conférences de chercheurs étrangers, ainsi qu’en discussions autour de publications récentes sur l’empire Perse.
Dès 2016, le laboratoire a commencé à organiser des colloques internationaux qui proposent non seulement des communications, mais également des conférences et des cours de la part de professeurs invités. Le premier colloque, organisé en 2016, a réuni des chercheurs brésiliens, argentins et portugais autour de quinze communications, quatre conférences, et un cours du professeur invité Maria Helena Trindade Lopes (Université de Nova Lisboa). L’année suivante, les étudiants ont pu assister à un cours du professeur Davide Nadali (Université La Sapienza – Rome), ainsi qu’à vingt communications et quatre conférences.
La troisième édition a eu lieu en 2023 et a été consacrée aux « Archives et collections dans l’Antiquité Orientale ». La dimension internationale de l’événement s’est confirmée, avec vingt communications de la part de chercheurs de différents pays (Brésil, France, Suisse, Allemagne…) et une séance de présentation de posters d’étudiants. De même, quatre professeurs et chercheurs ont été invités : la Brésilienne Maria Katia Paim Pozzer (Université Fédérale du Rio Grande do Sul), et les Français Damien Agut (UMR 7041 – ArScAn/HASAÉ), Cécile Michel (UMR 7041 – ArScAn/HASAÉ) et Brigitte Lion (Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne/ UMR 7041 – ArScAn/HASAÉ) ; cette dernière a également donné un cours sur le Proche-Orient au Bronze Récent.
4. Un laboratoire intégré dans des partenariats internationaux
Cette intégration se manifeste par différents partenariats, notamment des co-tutelles de thèses, ainsi que par des séjours de recherche effectués au long de leur carrière par les membres du LAOP. Cela commence bien entendu par les responsables du laboratoire, les professeurs Marcelo Rede et Carlos Gonçalves. Le premier, ayant soutenu sa thèse à l’Université Panthéon Sorbonne en 2004, a depuis lors maintenu des liens étroits avec la France, étant chercheur associé au laboratoire ArScAn (UMR 7041 – ArScAn/HASAÉ) et ayant été professeur-invité à Paris et Bordeaux, ainsi que résident à l’École Française de Rome. Le second est quant à lui membre associé de l’UMR 7219 – SPHERE et a effectué de nombreux séjours de recherche à Paris, mais aussi Exeter (Royaume-Uni) et Vienne (Autriche). Par les liens de leurs directeurs de recherche, les étudiants du LAOP se trouvent ainsi rapidement intégrés dans un réseau international, particulièrement lié à la France, permettant le développement de co-tutelles et la réalisation de séjours de recherche pour les étudiants de Master et Doctorat.
Cette dynamique internationale se remarque aussi dans les parcours des autres membres du laboratoire. Plusieurs d’entre eux ont fait leur Doctorat en dehors du Brésil, notamment la professeur Thais Rocha da Silva au Royaume-Uni (Université d’Oxford) et la post-doctorante et auteur de ce billet Andréa Vilela en France (Université Lyon 2 / UMR 5133 – Archéorient). D’autres ont soutenu des thèses en co-tutelle, comme la post-doctorante Anita Fattori (Université de São Paulo / Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne) ou ont eu l’occasion d’effectuer plusieurs stages de recherche en dehors du Brésil au cours de leur Doctorat et de leur Post-Doctorat, comme Leandro Penna Ranieri (à La Sapienza et à Cambridge) et Matheus Treuk Medeiros de Araújo (à La Sapienza).
De même, plusieurs membres contribuent aux travaux d’équipes de recherche à l’international, comme le projet de l’Institut Universitaire de France « Pour une histoire canine des chiens » (Andréa Vilela), le projet « Achemenet » de l’équipe HASAÉ de l’UMR 7041 – ArScAn (Matheus Treuk Medeiros de Araújo), ainsi que des collaborations en égyptologie avec l’Université d’Oxford (Thais Rocha da Silva). Il faut également relever la participation à des fouilles archéologiques au sein d’équipes internationales en Egypte (Thais Rocha da Silva) et en Turquie (Anita Fattori). Les membres du LAOP participent aussi de manière récurrente à des séminaires internationaux, comme les séminaires SHAMO, organisés par ArScAn (Andréa Vilela, Anita Fattori) ainsi qu’à divers colloques et rencontres nationaux et internationaux. Il en ressort un ensemble de chercheurs entretenant des liens étroits à l’international et intégrés dans des équipes en dehors du Brésil, à même d’insérer les étudiants dans un vaste réseau.
Conclusion
Le LAOP manifeste ainsi une grande dynamique dans plusieurs domaines, qu’il s’agisse de la recherche, de la formation des étudiants, ou encore de son insertion dans des réseaux de partenariat à l’international. Le laboratoire est également très attentif à l’importance de la diffusion de ses activités et des résultats de la recherche auprès d’un vaste public, assurant la visibilité de ce domaine d’étude au Brésil. Par tous ces aspects, le LAOP contribue activement au développement des recherches sur le Proche-Orient ancien au Brésil, à la fois auprès de la communauté universitaire et auprès de la société, tout en entretenant des relations étroites avec des équipes internationales, tout particulièrement françaises. Le développement du laboratoire au cours de ces dernières années, avec une augmentation constante du nombre d’étudiants intéressés par le Proche-Orient, laisse par ailleurs présager une intensification des échanges à l’avenir, une perspective très enrichissante pour les deux côtés de l’Atlantique.
L’auteur
Andréa Vilela est assyriologue et chercheur associé à l’UMR 5133-Archéorient. Elle est postdoctorante au Département d’Histoire de l’Université de São Paulo (USP), avec un financement de la FAPESP (n°2022/01388-1), et membre du LAOP. Ses axes de recherches concernent la représentation des animaux dans les sources cunéiforme suméro-akkadiennes et les interactions entre populations humaines et faune en Mésopotamie.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Andréa Vilela (28 mars 2025). L’assyriologie au Brésil. Présentation du Laboratoire du Proche-Orient Ancien (LAOP) de l’Université de São Paulo. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 27 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13lcf