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Entre le Tigre et le Zagros. Les recherches archéologiques de la mission italienne de l’Université de Milan dans la plaine d’Erbil (Kurdistan irakien)

Au nord de la Mésopotamie, à l’est de la vallée du Tigre, entre ses affluents appelés Petit et Grand Zab, s’étend la plaine d’Erbil jusqu’aux versants des monts Zagros. Cette plaine est caractérisée par une occupation dense depuis le Néolithique, comme le révèlent les prospections étendues et les nombreuses fouilles initiées au cours de la dernière décennie, grâce à la reprise des activités archéologiques dans la région du Kurdistan irakien. Dans le secteur sud-ouest de la plaine se trouvent Helawa et Aliawa, les deux sites archéologiques que la MAIPE (Mission archéologique italienne dans la plaine d’Erbil) a commencé à fouiller en 2016 (Fig. 1).

Fig.1 : carte de localisation des sites archéologiques de la Mission archéologique italienne dans la plaine d’Erbil
Fig. 2 : site de Helawa

Le premier objectif des investigations de la MAIPE était de reconstruire la séquence d’occupation des deux sites, en documentant les éléments diagnostiques et de datation, découverts en surface. À Helawa, la fréquence des vestiges pré- et protohistoriques indique que nous sommes sans aucun doute en présence d’un village reconstruit à plusieurs reprises sur une période de 3000 ans, entre le 7e et le 4e millénaire avant notre ère (Fig. 2). En utilisant les mêmes procédures et méthodes de reconnaissance, le matériel collecté en surface à Aliawa a également « raconté » la longue histoire du site, occupé principalement depuis le Bronze Ancien jusqu’à la période islamique (Fig. 3). Pendant tout le 3e millénaire a.n.e. (Bronze ancien), l’implantation s’étendait aussi sur le versant oriental, mais c’est au millénaire suivant (Bronze moyen et Bronze récent) qu’elle est devenue une agglomération urbaine d’au moins trente hectares, tandis qu’une autre phase importante d’occupation a eu lieu aux époques hellénistique (fin du IVe – milieu du IIe siècle a.n.e) et parthe (milieu du IIe siècle a.n.e). Au cours de cette phase, Aliawa est devenu un centre fortifié doté d’imposants remparts.

Fig. 3 : site de Aliawa
Entre révolution néolithique et urbaine : le peuplement pré et protohistorique d’Helawa 

Les fouilles à Helawa, débutées en 2016, ont fourni des preuves exceptionnelles de la transition entre les communautés villageoises néolithiques et les premières structures socio-économiques complexes de la plaine d’Erbil. L’occupation la plus ancienne remonte à la période de Halaf (fin du 7e-6e millénaire) qui a connu un développement démographique progressif dans la plaine avec des communautés d’agriculteurs et d’éleveurs exploitant le réseau de voies navigables et s’organisant en villages. Ceux-ci étaient caractérisés par des maisons circulaires (tholoi) et des entrepôts collectifs pour le stockage des denrées alimentaires (Fig. 4). Pendant cette période, les contacts entre les différents groupes dispersés dans le nord de la Mésopotamie et le sud-est de l’Anatolie ont entraîné la diffusion d’éléments culturels similaires, tels que la remarquable céramique peinte polychrome (en rouge, brun et noir) et l’outillage lithique en obsidienne.

Fig. 4 : maisons circulaires (tholoi) et entrepôts collectifs sur le site de Helawa
Fig. 5 : bâtiments domestiques rectangulaires en briques crues, Helawa.

Avec la transition vers la période d’Ubaid, au tournant des 6e et 5emillénaires, un changement radical s’est produit dans l’organisation du système d’habitation. Immédiatement au-dessus des vestiges des maisons circulaires halafiennes, ont été découverts des bâtiments domestiques rectangulaires plus complexes, construits en briques crues (Fig. 5). L’un d’entre eux, très bien conservé, se compose de petites pièces quadrangulaires et de pièces rectangulaires plus grandes, à l’intérieur desquelles se trouvaient des installations de toutes sortes ainsi que des outils en silex, des pilons et des ustensiles en pierre, des objets en terre cuite et les très caractéristiques « projectiles de fronde » en argile. C’est également dans cette phase que l’on trouve les premières traces de spécialisation artisanale et de complexification sociale et économique : par exemple un grand four destiné à la cuisson de la céramique avec des petites cellules attenantes pour la décantation de l’argile et sa première transformation (Fig. 6). Il se trouvait dans une zone du village réservée à la production artisanale. La poterie se caractérise désormais par une décoration peinte monochrome avec des motifs géométriques, à côté d’une production achromatique, assez fine. Parmi les rares représentations figuratives, celle d’un capridé à longues cornes tourné vers la droite, peint sur l’épaule d’un pot, a inspiré le logo de la Mission (Fig. 7).

Fig 6: four destiné à la cuisson de la céramique, Helawa.
Fig. 7 : représentation d’un capridé à longues cornes peint sur l’épaule d’un pot.

Cette tendance à la spécialisation s’est poursuivie et accentuée au début du Chalcolithique ancien (4800/4500-4200 a.n.e), comme en témoigne la continuité de l’utilisation artisanale de la zone pour la fabrication de céramiques, mais aussi pour la production d’outils microlithiques en obsidienne. Au cours des siècles suivants, l’implantation s’est développée en s’élevant au-dessus de la plaine grâce à des terrassements, avec une séquence impressionnante de niveaux superposés dans lesquels se trouvent de grands bâtiments résidentiels, des silos circulaires pour le stockage des céréales puis (Fig. 8), pour le début du 4e millénaire avant J.-C., une structure tripartite composée d’une salle centrale et de deux ailes contenant des espaces plus petits, entourée d’un côté par des petites pièces avec foyers et installations, et de l’autre, par une cour pavée de galets et de fragments de céramiques (Fig. 9). Cette typologie architecturale est répandue dans les sites du nord de la Mésopotamie et de la Jézireh syro-irakienne (Tell Brak, Hamoukar, Grai Resh, Gawra, Qalinj Agha). Les matériaux qu’on y trouve suggèrent une fonction de redistribution des produits par le contrôle des opérations à l’aide de sceaux apposés sur les marchandises. Le système fonctionne avec des mottes d’argile (cretulae) qui ferment des récipients de différentes natures (sacs, paniers, vases) sur lesquels le sceau est imprimé. Les sceaux utilisés étaient moulés et de forme circulaire ou lenticulaire, avec des représentations de quadrupèdes dans diverses compositions, de motifs végétaux schématiques, d’éléments géométriques et, dans un cas seulement, de figures anthropomorphes (Fig. 10).

Fig. 8 : silos circulaires pour le stockage des céréales, Helawa.
Fig. 9 : structure tripartite composée d’une salle centrale et de deux ailes, Helawa.
Fig. 10 : cretulae avec empreintes de sceaux.
Aliawa. Bâtiments publics et quartiers d’artisans à l’âge du Bronze Ancien

Les fouilles 2022-2024 à Aliawa ont permis de documenter principalement des périodes non attestées à Helawa, complétant ainsi le tableau de la longue histoire du peuplement dans cette partie de la plaine d’Erbil. La phase la plus ancienne mise au jour est située au pied du tell principal et remonte aux premiers siècles du 3e millénaire avant notre ère, ce qui correspond dans le nord de la Mésopotamie à la période Ninive V (appelée ainsi d’après le niveau de l’étude sur le site de Ninive, où elle a été identifiée pour la première fois). Il s’agit d’une période au cours de laquelle a commencé, et s’est défini, le développement de centres urbains régionaux, dont on sait encore très peu de choses pour la Plaine d’Erbil. C’est pourquoi la découverte à Aliawa d’une zone destinée au stockage centralisé des produits agricoles revêt une importance particulière. Dans les niveaux associés à ces greniers, une quantité impressionnante de restes carbonisés de céréales, en particulier d’orge, a été trouvée. Plus significative encore est la présence, dans le même contexte, de plusieurs scellements en argile avec des empreintes de sceaux, indiquant sans doute un contrôle centralisé de ces ressources (Fig. 11). Les sceaux ne sont plus moulés comme dans l’édifice du 4e millénaire à Helawa, mais sont principalement en pierre tendre de couleur verte en stéatite ou en chlorite et de forme cylindrique, présentant des motifs géométriques linéaires ainsi que des figures animales et humaines schématiques.  Ils appartiennent à un style glyptique qui est, non seulement, répandu sur une aire géographique assez étendue allant des contreforts du Zagros à la Djézireh syrienne, mais aussi bien typique de cette période. Pour la période postérieure, un vaste quartier de fabrication de poteries à grande échelle, datable des derniers siècles du 3e millénaire a.n.e (période akkadienne), couvre les 300 m2 de la zone fouillée, sans que l’on ait pu en identifier les limites, dans quelque direction que ce soit (Fig. 12). Plus d’une cinquantaine de fours pour la cuisson des pots sont situés sur des terrasses à différentes hauteurs et reliés par des plates-formes en briques. Les fours sont équipés de systèmes sophistiqués de diffusion de gaz et de chaleur, au moyen de conduits horizontaux et de cheminées verticales. Les chambres de combustion ont été retrouvées encore pleines de cendres et, dans certains cas, les chambres de cuisson se sont effondrées avec encore à l’intérieur les céramiques qui y avaient été placées pour la cuisson. Dans un cas spécifique, l’un des fours a été rempli de déchets, y compris de disques de tour et d’outils en pierre pour le lissage et la finition des récipients, c’est-à-dire de matériaux essentiels pour la reconstitution des activités qui ont eu lieu dans le complexe artisanal (Fig. 13). Dans les niveaux associés à cette vaste installation artisanale, de nombreuses jarres de stockage, des ollae, des cruches, des assiettes et des bols de tailles et de types variés ont été retrouvés et restaurés, montrant la gamme des produits fabriqués. La découverte de cet atelier de production est d’une grande importance, car dans toute la Mésopotamie septentrionale, on ne connaît qu’un seul autre cas comparable : dans la vallée du Qara Dagh, sur les contreforts du Zagros. La French Archaeological Mission of the Qara Dagh (FArMQaD) dirigée par Johnny Samuele Baldi (CNRS, Archéorient) a fouillé des aires de production de poteries sur le site de Logardan, datant également des derniers siècles du IIIe millénaire, avec des solutions de circulation de la chaleur similaires mais pas tout à fait identiques. De plus, l’organisation de l’atelier d’Aliawa est différente, avec des terrasses inclinées et des groupes de fours espacés et entrecoupés de plates-formes et de banquettes pour le travail de l’argile.

Fig. 11 : scellements en argile avec des empreintes de sceaux.
Fig. 12 : quartier de fabrication de poteries à grande échelle, Aliawa.
Fig. 13 : outils en pierre découverts dans l’un des fours.
A la périphérie des premiers empires : villes et villages au milieu du 2e millénaire a.n.e

La prospection de surface indique qu’Aliawa est devenu un centre urbain de trente hectares au cours du 2e millénaire, avec une occupation concentrée sur la butte principale et dispersée dans les zones environnantes. La tranchée stratigraphique sur le versant sud de la butte a permis d’identifier un terrassement défensif probablement lié à la citadelle du Bronze Moyen, tandis que les recherches géophysiques et géoarchéologiques, ainsi que les sondages dans la ville basse, suggèrent que l’organisation de l’habitat a toujours été liée à un rôle économique spécifique dans la production artisanale. Bien que la documentation doive être complétée par de nouvelles fouilles dans la ville basse, ces éléments suggèrent une configuration urbaine avec des regroupements de quartiers artisanaux et résidentiels qui étaient principalement basés sur le traitement et la production de céramique, probablement développés grâce à la présence de carrières d’argile d’excellente qualité le long du cours d’eau. En ce sens, il est intéressant de noter qu’aujourd’hui encore, à quelques centaines de mètres d’Aliawa, on trouve de vastes installations artisanales pour la préparation et la cuisson des briques, démontrant l’impressionnante continuité de la tradition locale.

L’image offerte par Aliawa est complétée par les fouilles d’Helawa. Ici, en effet, après la phase protohistorique, le site est abandonné et ce n’est que vers 1650/1600 a.n.e. qu’il est à nouveau occupé pour une brève période de quelques siècles. Une grande demeure, avec des pièces de différentes tailles et une grande cour ouverte, domine aujourd’hui ce qui devait alors être un centre rural d’une dizaine d’hectares, dont elle occupe la partie la plus haute. Le bâtiment a révélé plusieurs phases d’occupation et de remodelage des espaces, avec des installations artisanales et des fours. Plusieurs sépultures d’enfants et d’adultes ont été découvertes sous les sols du bâtiment. L’une d’entre elles appartenait à une femme d’environ 35 ans qui possédait une parure richement décorée, avec notamment des boucles d’oreilles en demi-lune en argent et un collier de perles en pâte de verre, en cornaline, en agate et en lapis-lazuli, indiquant la position sociale élevée de la défunte.

Après les conquêtes d’Alexandre le Grand : une imposante forteresse de la période séleucide et les occupations tardives du sommet du site d’Aliawa

Sur le même site de l’âge du Bronze Ancien, à une époque qui reste à préciser au cours du 1er millénaire a.n.e, un établissement fortifié à caractère nettement militaire a été établi, avec de puissants murs défensifs qui créent un escarpement particulièrement raide sur les côtés Ouest, Nord et Est, suivant le profil de la butte avec des éperons en saillie à l’extérieur, tandis que sur le front Sud, deux bastions ont dû encadrer l’accès à la structure (Fig. 14). Les fouilles ont mis au jour un secteur du système de défense datant de l’époque Séleucide (4e-3e siècle a.n.e.) relié à une tour. La découverte d’un tétradrachme d’argent d’Alexandre le Grand – une monnaie qui répandue dans tout le vaste empire macédonien et qui a été frappée dans de nombreuses régions – témoigne de l’importance du centre (Fig. 15). On ne sait pas encore si le bâtiment a subi une destruction violente, mais il est certain qu’au-dessus des niveaux d’effondrement, une nouvelle structure datant de l’époque parthe (2e siècle a.n.e – 3e siècle ap. J.-C.) a été établie, caractérisée par des pièces rectangulaires régulières avec des sols plâtrés d’excellente facture (Fig. 16). Après cette dernière utilisation du bâtiment, un abandon progressif a affecté toute la zone, jusqu’à ce que la partie supérieure du site soit à nouveau occupée à l’époque médiévale pour le stockage de denrées alimentaires et pour des activités artisanales, comme l’indiquent plusieurs fosses circulaires, silos et fossés de drainage, creusés en coupant les niveaux des phases précédentes.

En termes de recherche historique sur une perspective à long terme, les possibilités offertes par les séquences combinées des deux sites d’Helawa et d’Aliawa sont donc uniques dans la région. En effet, l’intégration des données sur le développement de la communauté protohistorique d’Helawa et de celles relatives au centre urbain d’Aliawa entre le 3e et le 1er millénaire avant J.-C. permet une investigation précise de la séquence de peuplement, sur une durée chronologique de plus de six millénaires. Les nombreux éléments qui composent peu à peu la mosaïque toute entière des stratégies de subsistance, des formes artisanales, des organisations politiques et des dynamiques culturelles, ajoutent de nouvelles pages au livre fascinant de l’histoire des cultures de l’ancienne Mésopotamie.

Bibliographie

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L’auteur

Luca Peyronel est professeur d’Archéologie et d’histoire de l’art du Proche-Orient ancien à l’Université de Milan. Il est directeur de la mission archéologique italienne dans la plaine d’Erbil (Kurdistan irakien) et du projet archéologique italien à Kültepe/Kanesh en Turquie.  


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Luca Peyronel (28 février 2025). Entre le Tigre et le Zagros. Les recherches archéologiques de la mission italienne de l’Université de Milan dans la plaine d’Erbil (Kurdistan irakien). ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 14 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13euv


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