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De l’importance du modèle de carottiers en géoarchéologie : lagunes côtières et carottier “Amaury”

En géoarchéologie littorale, les sédiments sont souvent collectés par carottage pour s’affranchir des contraintes liées à la nappe phréatique qui nécessite des pompages. Cependant, cette méthode de prélèvement a des conséquences sur la qualité des stratigraphies (Fig. 1). Il est important de les prendre en compte pour éviter que les biais de carottage ne deviennent des biais interprétatifs, en particulier pour les études à haute résolution. Il existe de nombreux types de carottiers mécaniques, qui peuvent recourir à différents modes de carottages (fonçage, vibration, rotation, percussion) et prélever les sédiments en une (mono-run) ou plusieurs passes (multi-run). Les carottiers multi-runs sont les plus couramment utilisés pour le prélèvement des sédiments lagunaires. Cependant, ils induisent une perte de sédiments entre chaque passe et des contaminations par les couches superficielles lorsqu’ils ne sont pas chemisés (une chemise est un revêtement en métal placé entre le carottier et la paroi du trou de carottage destinée à la consolider). Pour pallier ces problèmes, des développements méthodologiques ont été réalisés en collaboration avec le Carottage Continental France (CCF) de la Division Technique de l’Institut national des sciences de l’univers (DT-INSU) et avec le soutien des projets de recherche IMU-Urbo, IMU-Zoonosoi et ANR-Access-ERC GEO-SAL (ANR-23-AERC-0028).

Fig. 1 : Représentation schématique des différents types de carottiers et leur biais (en jaune les contamination et en pointillés les hiatus liées aux opérations de carottage). Crédits : Cécile Vittori et Valérian Jésus, Archéorient, CNRS / Stoil Chapkanski, IDEES, Université de Rouen.
1. Historique et caractéristiques du carottier “Amaury”

Développé dans les années 80, par Amaury De Resseguier, ingénieur CNRS au laboratoire EPOC (De Resseguier, 1983), ce carottier est conçu pour les terrains meubles d’accès difficile (zones intertidales, marécages, bancs de sable découverts à marée basse, sols argileux). Il a rapidement été dupliqué aux laboratoires M2C et Géosystème, sans que de véritables dossiers de plans existent. À la suite d’une visite chez Géosystème en 2012, le C2FN (Centre de Carottage et Forage National) de la DT-INSU a pu sous-traiter un dossier de plans et faire fabriquer une nouvelle version. Depuis 2023, le dossier de plans a été revu par le CCF de la DT-INSU et un nouvel ensemble complet a été fabriqué (Fig. 2).

Fig. 2 : Barge CORE’IN armée «Amaury». Crédit : Laurent Augustin, DT-INSU, CNRS.

Le carottier est un simple tube à paroi mince sans ‘’liner’’, mono-run et à piston stationnaire, qui peut percuter ou vibrer suivant sa configuration. La plateforme porteuse est une échelle de couvreur. Le carottier, avec son échelle modulable de 4, 6 ou 8 m, permet de récupérer des carottes respectivement de 2, 4 et 5,5 m de longueur. C’est un ensemble léger, ultra portable dans sa version la plus courte. L’échelle de couvreur est disposée verticalement directement sur le sol. Elle peut être fixée à l’arrière d’un véhicule, sur un bateau ou une barge.

Le carottier est composé d’un tube d’aluminium de faible épaisseur (1 mm pour un diamètre de 76,2 mm ou 3’’). Dans sa partie inférieure est fixée une trousse coupante (ogive-shoe) avec ou sans panier (basket shoe) suivant la nature des sédiments. Le panier permet de retenir les sédiments à l’intérieur du tube carottier pendant l’extraction. Un piston stationnaire attaché à un câble, lui-même immobilisé par une pince en haut de l’échelle de couvreur, permet un effet de succion pour aider les sédiments à monter dans le tube et les retenir en fin de passe et pendant l’extraction. Le tube carottier est connecté par la tête avec un manchon et une pince au percuteur ou au vibreur suivant la configuration. Un chariot mobile porteur du percuteur ou du vibreur se déplace le long de l’échelle et permet la descente du tube carottier dans les sédiments. En fin de passe, un système de mouflage avec une corde permet d’extraire le tube carottier. Pour les extractions difficiles, des palans électriques ou à chaîne peuvent être utilisés.

2. Campagne test en configuration terrestre dans la lagune de Giens (janvier 2023)

2.1.  Contexte historique et archéologique

 La présence de traces de fréquentation néolithique sur un cordon aujourd’hui submergé, suggère une occupation très ancienne de la lagune de Giens. L’ancienne colonie marseillaise d’Olbia est fondée dans la seconde moitié du IVe siècle avant J.-C. (Bouet, 1996), au début du cordon occidental de la lagune (Pasqualini, 2000). Si la ville était un comptoir commercial important (Bouet, 1996 ; Bats, 2013), l’absence de vestiges archéologiques d’un port grec (Bouet, 1996 ; Pasqualini, 2000) suggère la présence d’un port le long de la plage (Sabastia et al., 2023) ou à l’intérieur de la lagune de Giens (Vella et al., 2000 ; Giaime et al., 2016). Une zone portuaire a ensuite été aménagée en face de la ville, avec la construction d’un môle à la fin du Ier siècle av. J.-C. (Giaime et al., 2016; Sabastia et al., 2023).

La lagune devait permettre l’exploitation du sel et du poisson depuis l’époque antique (Pasqualini, 2000), bien qu’aucun vestige de cette période ne soit connu. À partir du Ier siècle av. J.-C., la fondation de la ville et du port de Toulon amène Olbia à perdre son importance (Andreau, 1997), jusqu’à l’abandon définitif du VIe siècle apr. J.-C. (Bouet, 1996). La lagune de Giens est aujourd’hui divisée en deux zones : (1) les Vieux Salins (350 ha), comprenant une juxtaposition de bassins aux parcelles irrégulières dont la géométrie est héritée du Moyen Âge, correspondant à divers petits sites de production de sel (Ollivier et al., 2002);  (2) le Salin des Pesquiers (550 ha), site de production industrielle de sel aux parcelles orthonormées, qui a débuté en 1848 (Faget et al., 2021).

2.2. Campagne de carottages

En janvier 2023, le carottier “Amaury” a d’abord été testé en contexte terrestre (Fig. 3), dans les Salins des Pesquiers (supervision technique : L. Augustin ; supervision scientifique : C. Vittori). Les carottages ont été réalisés en bordure des anciens œillets asséchés (bassins d’une saline dans lesquels s’effectuent la cristallisation et la récolte du sel), induisant des difficultés d’accès lors des opérations, inhérentes aux terrains boueux. Le caractère léger et portable du carottier a cependant permis de prélever 12 carottes sédimentaires et de tester le potentiel des deux configurations (Fig. 4).

Fig. 3 : Opérations de carottage terrestre avec le carottier “Amaury” dans le Salin des Pesquiers. Crédit : Valérian Jésus, Archéorient, CNRS.
Fig. 4 : Carte de localisation des points de carottage dans le Salin des Pesquiers. Crédit : Jorge Cocquyt, Archéorient, Université de Lyon.

La première série a été réalisée en configuration vibration (Vibecore-D de SDI) avec une échelle de couvreur de 8 m, disposée verticalement sur le sol. Trois carottes ont ainsi été collectées, dont une atteignant 4,5 m de profondeur. Le troisième carottage a cependant dû être interrompu, la vibration n’étant pas suffisante pour que le carottier traverse un important amas coquillier. La configuration percussion (Marteau waker-neuson) a donc été mise en place sur l’échelle de couvreur de 8 m, permettant également l’extraction d’une carotte de 4,5 m de long. L’échelle plus courte, de 4 m, a également été testée pour récupérer des carottes atteignant jusqu’à 1,8 m.

3. Campagne test en configuration aquatique dans la Laguna di Orbetello (avril 2024)

3.1. Contexte historique et archéologique

Le site d’Orbetello est occupé depuis la préhistoire (Negroni et al., 2017). À l’extrémité occidentale du cordon central de la lagune d’Orbetello est fondée une ville étrusque entre la fin du VIIe et le début du VIe siècle av. J.-C. (Ciampoltrini, 1995; Calastri, 2019). C’est de cette période que datent les plus anciennes traces archéologiques de la ville (Calastri, 2019). La muraille polygonale bien préservée, qui entoure encore la ville aujourd’hui, remonte à la conquête romaine en 280 avant J.-C. (Ciampoltrini, 1995 ; Calastri, 2019). Cette enceinte est construite à l’extrémité du cordon, et pour trois de ces quatre faces, les fondations baignent dans les eaux lagunaires (Ciampoltrini, 2019 ; Calastri, 2019).

Dans un premier temps, la ville ne semble pas affectée par la construction de la colonie de Cosa sur le promontoire de Ansedonia, situé l’extrémité du cordon de la Feniglia (De Giorgi, 2024). Cependant, à l’époque impériale, les traces sont rares (Negroni et al., 2017 ; Calastri 2019) avant un déclin inexorable jusqu’à son abandon dès la fin de l’Antiquité (Ciampoltrini 2019). La ville se développe à nouveau au cours du Moyen Âge et en 1414, elle devient une place forte de la République de Seine (Cartei et al. 2015), pour passer ensuite sous la domination espagnole au XVIe siècle.

3.2. Campagne de carottages

Le carottier Amaury a été testé en contexte aquatique (Fig. 5), dans la partie sud de la lagune d’Orbetello, en avril 2024. Elle se caractérise par deux principales contraintes techniques pour le carottage, à savoir sa forte salinité, proche de celle de la mer, et sa faible profondeur (en moyenne 1 à 1,5 m). L’échelle de couvreur de 8 m était fixée sur le pont de la barge CORE’IN (7 m x 4 m) du CCF, homologuée navigation fluviale depuis octobre 2023.

Fig. 5 : Opérations de carottage aquatique avec le carottier “Amaury” dans la lagune d’Orbetello. Crédit : Alessandro Conforti, Istituto per lo studio degli impatti Antropici e Sostenibilità in ambiante marino (IAS), CNR.

Contrairement à son utilisation en contexte terrestre, le carottier n’a pas besoin d’être démonté pour être déplacé d’un point de carottage à un autre. Au vu des résultats de la campagne de janvier 2023, seul le mode de carottage par percussion a été mis en œuvre afin de s’assurer que le carottier puisse traverser les amas coquilliers documentés dans cette lagune par une précédente campagne de carottage.Malgré des contraintes externes qui ont fortement impacté le prévisionnel de carottage (vent, bloom algaire, etc.), une série de 6 carottes sédimentaires a été prélevée (Fig. 6). Localisée dans la zone comprenant le plus important remplissage sédimentaire de la lagune, selon les données géophysiques, la plus longue carotte mesurait 5,6 m de long.

Fig. 6 : Carte de localisation des points de carottage dans la lagune d’Orbetello. Crédit : Jorge Cocquyt, Archéorient, Université de Lyon.
4. Protocole d’ouvertures des carottes mono-run (Antenne CNRS de Jalès)

 Une fois les campagnes terminées, les carottes sédimentaires, pouvant atteindre jusqu’à 5,6 m de long, ont été transportées et ouvertes sans tronçonnage préalable à l’Antenne CNRS de Jalès. L’objectif est de préserver les stratigraphies des dégradations liées au tronçonnage en section de 1,5 m classiquement pratiqué. De grands espaces, tels que ceux offerts par la commanderie ardéchoise (préau, cour et carothèque), sont nécessaires à la réalisation du protocole d’ouverture des carottes mono-run (Figs. 7, 8 et 9). Pour ce faire, une double découpe préalable a été réalisée dans les tubes en aluminium, par les ingénieurs du CCF, à l’aide d’une scie circulaire (Makita) sur batterie montée sur un support ad-hoc fabriqué sur mesure (Fig. 7). Des outils ont été conçus et faits usinés pour permettre l’ouverture et l’échantillonnage des carottes sédimentaires.

Fig. 7 : Protocole d’ouverture des carottes mono-run, découpe du tube aluminium à la scie circulaire. Crédits : Valérian Jésus et Cécile Vittori, Archéorient, CNRS / Camille Gonçalves, Archéorient, Université de Lyon.
Fig. 8 : Protocole d’ouverture et d’échantillonnage des carottes mono-run, découpe du sédiment avec les outils usinés en collaboration avec le CCF. Crédits : Valérian Jésus, Archéorient, CNRS / Jorge Cocquyt et Camille Gonçalves, Archéorient, Université de Lyon.

L’ouverture consiste à séparer chaque carotte en deux demi-sections à l’aide d’une série de couples de plaques en métal (matière: inox 316L, dimensions :  330*1*110 mm) qui sont enfoncées dans la découpe du tube en aluminium pour sectionner le sédiment perpendiculairement à la stratigraphie (Fig. 8.1). Chaque couple de plaques est ensuite progressivement ouvert (Fig. 8.2), puis délicatement retiré dans le sens inverse de leur insertion (Fig. 8.3) pour préserver l’architecture des sédiments. L’une des demi-sections de la carotte est ensuite échantillonnée, c’est-à-dire découpée en tranche centimétrique ou pluri-centimétrique à l’aide d’un couple de petites plaques arrondies (matière: inox 316L, dimensions : 74.2*1*110 mm et 37,1 mm de rayon) adaptées à la circonférence interne du demi-tube en aluminium et enfoncées de part et d’autre de la tranche de sédiment à prélever (Figs. 8.4 et 8.5), avant d’être stockées en sachets. La seconde demi-section de la carotte est photographiée (Fig. 9) et préservée, sans tronçonnage, dans la carothèque.

Fig. 9 : Photographies des carottes mono-run à l’aide d’un chariot. Crédit : Camille Gonçalves, Archéorient, Université de Lyon.

En conclusion l’utilisation d’un carottier mono-run “Amaury”, modifié par le CCF, associé à ce nouveau protocole d’ouverture des carottes sédimentaire, a permis d’obtenir des séquences stratigraphiques de grande qualité, sans hiatus, et de standardiser les méthodes de prélèvement lagunaire en contexte terrestre et aquatique. Cependant, le recours à ce type de carottier nécessite une logistique plus lourde en termes de transport et de stockage des carottes sédimentaires.

Bibliographie

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 Les auteurs

Cécile Vittori est postdorante au CNRS, spécialiste en géoarchéologie côtière et paléoenvironnements lagunaires. Elle est membre de l’UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.

Laurent Augustin est ingénieur mécanicien au CNRS, spécialisé en conception de carottiers et en réalisation et mise en œuvre de carottages glaciaires et continental. Il est membre de la Division Technique de l’Institut National des Sciences de l’Univers (INSU), La Seyne-sur-Mer.

Camille Gonçalves est ingénieure d’étude à l’Université de Lyon, spécialiste en paléoenvironnements lagunaires et malacologie. Elle est membre de l’UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.

Jorge Cocquyt est ingénieur d’étude à l’Université de Lyon, spécialiste des méthodes de construction romaines en contexte maritime. Il est membre de l’UMR 5133-Archéorient, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cécile Vittori, Laurent Augustin, Camille Gonçalves et Jorge Cocquyt (7 février 2025). De l’importance du modèle de carottiers en géoarchéologie : lagunes côtières et carottier “Amaury”. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 15 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13a4c


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