Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Prospections archéologiques à Beniamin, un domaine achéménide en Arménie

Beniamin, un centre régional achéménide et hellénistique

Le site de Beniamin se situe au nord-ouest de l’Arménie, dans la région du Shirak, à une dizaine de kilomètres au sud de sa capitale Gyumri (Fig. 1). Il occupe des reliefs formés par d’anciennes coulées de lave provenant du massif volcanique de l’Aragats qui, culminant à plus de 4000 m, domine le paysage du Shirak. Arrosé par un affluent de l’Akhuryan, la rivière principale de la région, le site est entouré par les vastes espaces fertiles de la plaine du Shirak (Fig. 2).

Fig. 1 : Localisation du site de Beniamin au sud de la région du Shirak (DAO : D. Laisney).
Fig. 2 : Vue aérienne vers le nord de Beniamin prise par drone, avec au premier plan les vestiges du secteur hellénistique puis au second plan la colline principale du site (photo : A. Lureau).

La présence de vestiges archéologiques à Beniamin a été mise en évidence dans des circonstances tragiques lors de travaux préalables à l’installation de logements destinés à accueillir les populations demeurant sans abri après le tremblement de terre qui a frappé la région en 1988. Très vite, le site a fait l’objet de fouilles pilotées par Félix Ter-Martirossov, de l’Institut d’archéologie d’Arménie, ainsi que par Hamazasp Khatchatryan et Larissa Yeganyan, du Musée régional du Shirak. À partir de 1999 et jusqu’en 2007, Stéphane Deschamps et François Fichet de Clairfontaine, conservateurs du Patrimoine au Ministère de la Culture, ont participé à ce programme de fouilles dans le cadre d’un programme de coopération franco-arménien (Deschamps et al. 2020).

Fig. 3 : Vue aérienne vers l’ouest du secteur du bâtiment achéménide au sommet de la colline centrale de Beniamin (photo : A. Lureau).

Leurs travaux ont démontré que Beniamin, tout au long de la seconde moitié du 1er millénaire avt. n.-è., était un centre régional d’importance et constituait également le cœur d’un plus vaste domaine. Pour la période achéménide, un grand bâtiment de près de 900 m² a été mis au jour au sommet de la plus haute colline du site (Fig. 3). Son plan s’organise autour de quatre salles principales, dont les deux plus grandes étaient certainement hypostyles (Ter-Martirosov et al. 2012). Leur couverture devait être supportée par des colonnes dont les bases en pierre, réemployées dans les niveaux architecturaux postérieurs datant pour les plus récents du 1er s. avt. n.-è., présentent des décors typiques de l’architecture palatiale perse (Fig. 4). Vers l’ouest à 250 m, deux habitations semi-enterrées caractéristiques de l’architecture vernaculaire de la région ont été mises au jour (Fig. 5). Conservant tout au long de la période achéménide une fonction résidentielle, elles abritaient également des activités artisanales (métallurgie) et agricoles (Fichet de Clairfontaine & Deschamps 2021). Durant la période hellénistique, le secteur officiel de Beniamin semble se déplacer de 500 m en direction du sud-est où une longue construction à nef centrale à colonnes a été dégagée lors des premières campagnes de fouilles (Fig. 6). Ce bâtiment était entouré de constructions dont certaines servaient très certainement au stockage (Khachatryan 2007). Une fois abandonné, ce secteur a servi de nécropole durant l’ensemble du 2e s. de n.-è.

Fig. 4 : Exemples de deux bases de colonnes achéménides remployées dans les niveaux d’occupation postérieurs du grand bâtiment au sommet de la colline centrale de Beniamin (photo : S. Gondet)
Fig. 5 : Vue aérienne vers l’ouest du secteur des deux habitats achéménides semi-enterrés fouillés au début des années 2000 par une mission arméno-française, au premier plan prospection géophysique en cours de réalisation (photo : A. Lureau).
Fig. 6 : Orthophotographie du secteur hellénistique au sud-est de Beniamin obtenue par photogrammétrie (photo et traitements : A. Lureau).
Prospections à Beniamin en 2023 : contexte et enjeux

L’élaboration d’un nouveau programme de recherche sur le site de Beniamin se place dans la continuité de problématiques explorées de longue date par des projets portés par Archéorient. Depuis 1999, le programme irano-français Shiraz s’attache à mieux caractériser l’organisation des centres royaux achéménides d’Iran méridional. Parallèlement, de 2017 à 2021, plusieurs de ses membres se sont investis dans le projet franco-allemand Paradise, construit avec une équipe de l’université LMU de Munich, ayant pour objectif de comparer la morphologie des lieux de pouvoir achéménides entre le centre de l’empire et le Sud du Caucase. Dans cette région, correspondant à l’ancienne satrapie d’Arménie, le pouvoir central et/ou les élites locales ont développé un programme d’aménagement du territoire reposant sur l’implantation de centres politiques et économiques prenant la forme de vastes domaines intégrant espaces cultivés, secteurs d’habitats, bâtiments administratifs et constructions monumentales hypostyles reprenant des modèles architecturaux connus sur les sites royaux achéménides (Knauss 2021). Les données déjà obtenues à Beniamin démontrent que sa fondation s’insère très probablement dans le cadre de ces nouvelles dynamiques d’organisation observées aux confins septentrionaux de l’espace impérial. Il paraît toutefois nécessaire d’enrichir le dossier documentaire sur ce site afin, pour la période achéménide, d’affiner les comparaisons avec les autres sites du Sud du Caucase et, pour les périodes postérieures, de mieux définir les évolutions de son organisation spatiale après la chute de l’empire.

Dès 2022, un programme de prospection et de cartographie à Beniamin a été élaboré avec l’équipe du Musée régional du Shirak. Il entre en résonance avec les projets de valorisation du patrimoine archéologique de la région portés par le musée. Beniamin, dont les fouilles ont largement alimenté les réserves du musée, fait régulièrement l’objet d’opérations sur le terrain visant à la préservation de ses vestiges. L’établissement d’une carte archéologique de l’ensemble du site s’avère donc nécessaire pour mieux en assurer la protection. Parallèlement, le mobilier mis au jour à Beniamin et conservé au musée a nourri deux expositions récentes, l’une durant l’été 2024 dans un musée à Gyumri et l’autre, en cours, au Musée d’Histoire de l’Arménie à Erevan. Les nouvelles recherches archéologiques sur le site pourront alimenter en données nouvelles d’autres expositions d’ores et déjà prévues en Arménie ou en France.

Fruit d’une collaboration entre le laboratoire Archéorient et le service Techniques archéologiques de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée (MOM), le projet de prospections archéologiques sur le site de Beniamin a été retenu dans le cadre de l’appel à projet interne MOM 2023. Les crédits alloués nous ont permis de mener une première campagne de terrain de deux semaines au début de l’été 2023. L’équipe de recherche rassemblait les auteurs de ce billet et a reçu le renfort de plusieurs membres du musée ainsi que de Kourosh Mohammadkhani, codirecteur de la mission Shiraz, pour les prospections géophysiques et de François Fichet de Clairfontaine pour l’étude du mobilier céramique.

Opérations de terrain et premiers résultats

L’approche suivie au cours de cette première campagne à Beniamin intégrait plusieurs méthodes de cartographie complémentaires. Nous avons d’abord réalisé une couverture photographique et photogrammétrique aérienne par drone de l’ensemble du site, dont sont issus plusieurs des clichés qui illustrent ce billet. Parallèlement, un levé topographique effectué à l’aide d’un GPS différentiel a permis de replacer les différents secteurs de fouille dans un plan général et de relever les structures archéologiques affleurantes visibles en surface sur le reste du site. Ce travail a également permis de délimiter des zones de concentration de céramiques en surface, témoins de la présence d’occupations anciennes. Autour des secteurs fouillés, plus particulièrement celui du grand bâtiment achéménide, nous avons aussi procédé à des prospections géophysiques en utilisant un appareil électromagnétique (Fig. 7).

Fig. 7 : Prospection électromagnétique à Beniamin en cours de réalisation (photo : K. Mohammadkhani).
Fig. 8 : Carte archéologique de Beniamin établie après les opérations de terrain mises en œuvre en 2023 (DAO : D. Laisney).

Ces opérations ont permis de construire les bases d’une première carte archéologique de Beniamin (Fig. 8). L’enregistrement, au sol ou sur les photographies aériennes, des arases de murs fait apparaître la présence de constructions sur l’ensemble du sommet de la colline centrale. Les prospections géophysiques menées dans ce même secteur ont, de plus, révélé la présence, à l’est du bâtiment achéménide, de grands aménagements creusés dans les niveaux de basalte situés à quelques dizaines de centimètres sous la surface. Plus à l’ouest, les deux habitations fouillées au cours des années 2000 sont probablement intégrées à une plus vaste zone occupée s’étendant sur l’ensemble du versant sud de la colline. La cartographie des zones de densité de céramiques complète ces observations et laisse présager une occupation assez dense et plutôt continue sur près de 20 ha dans la partie sud du site, les versants nord semblant avoir été plutôt délaissés. Une évaluation préliminaire de la céramique de surface indique la présence d’assemblages achéménides sur l’ensemble des secteurs de concentration avec une plus forte proportion de types hellénistiques dans la partie orientale. Nos premières observations montrent donc que l’occupation achéménide s’étendait probablement sur toute la partie sud du site et tendent à confirmer une concentration de l’occupation à l’est du site au cours de la période hellénistique. Un autre acquis de cette première campagne à Beniamin a été de démontrer la richesse des territoires avoisinants en installations agro-pastorales, les versants des reliefs situés à moins de 1 km de la colline centrale abritant les restes de nombreux enclos qu’il resterait à cartographier et à dater (Fig. 9).

Fig. 9 : Vue aérienne vers le sud de grands enclos agro-pastoraux sur des reliefs à 1 km au sud de Beniamin (photo : A. Lureau).

Ces prospections ont donc mis en évidence le potentiel du site pour de futures opérations archéologiques dont les objectifs seraient de caractériser plus finement la nature des constructions et des aménagements relevés au cours de la campagne 2023 ainsi que de mieux définir les dynamiques d’occupation sur le site et dans son riche territoire alentour.

Vers un programme d’étude des dynamiques d’occupation régionale dans le Shirak

Outre des résultats prometteurs, cette première campagne d’études archéologiques à Beniamin a également servi de point d’appui à la construction d’un projet collectif plus vaste. Le lancement de travaux à Beniamin en 2023 a coïncidé avec le projet de deux collègues archéologues médiévistes lyonnais, Damien Martinez du laboratoire CIHAM et Anne Baud du laboratoire ArAr/MOM, de relancer des études sur le site d’Ereruyk situé à une trentaine de kilomètres plus au sud. Il abrite les vestiges d’une basilique paléochrétienne, fondée sur les restes d’occupations plus anciennes, qui a été étudiée de 2009 à 2016 par une mission arméno-française dirigée par Patrick Donabédian, membre du laboratoire LA3M d’Aix-en-Provence (Donabédian et al. 2022).

Nous avons souhaité associer nos compétences afin de bâtir un projet portant sur les dynamiques d’occupation du sud du Shirak jusqu’au Haut Moyen Âge arménien. La période achéménide constitue probablement le point de départ d’un lent processus de structuration du territoire, qui perdurera jusqu’à la période médiévale, appuyé sur la constitution de grands domaines fonciers dans les plaines fertiles de la vallée de l’Akhuryan. Afin d’explorer ces problématiques de recherche, nous avons obtenu en 2024 un financement sur un appel interne de l’Université Lyon 2. Il nous a permis de mener en juin 2024 une campagne exploratoire dans le sud du Shirak, de consolider notre consortium et de construire avec le musée du Shirak les bases d’un programme archéologique pluridisciplinaire à l’échelle régionale intégrant de nouvelles recherches à Beniamin et à Ereruyk qui constitueront deux sites de référence pour les futurs projets en cours de structuration.

Bibliographie

Deschamps S., Fichet de Clairfontaine F., Mutarelli V., Azizyan A., Badalyan M., Karapetyan M., 2020. Comprendre l’évolution de l’Arménie entre la fin de la période ourartéenne et le début de celle Achéménide : une collaboration entre les équipes française et arménienne Beniamin et Erebuni (1999-2019), Aramazd: Armenian Journal of Near Eastern Studies, 10(1-2), 184–208. https://doi.org/10.32028/ajnes.vi.925

Donabédian P., Hartmann-Virnich A., Martinez D., 2022. Ereruyk (Arménie). Principaux résultats de la mission archéologique du LA3M (2009-2016), Hortus Artium Medievalium: Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 514–550. https://doi.org/10.1484/J.HAM.5.131697

Fichet de Clairfontaine F., Deschamps S., 2021. Achaemenid ceramics from the site Beniamin II (Shirak, Armenia): The end of the 6th to the mid-4th centuries BC, Aramazd: Armenian Journal of Near Eastern Studies, 15(1-2), 202–250. https://doi.org/10.32028/ajnes.v15i1-2.1306

Khachatryan H., 2007.L’habitat de Beniamin à l’époque hellénistique, in: F. Fichet de Clairfontaine (éd.), Dans les Montagnes d’Arménie : 500 000 ans d’histoire avant notre ère, catalogue d’exposition au Musée archéologique de Saint Raphaël (12 janvier – 19 mars 2007) et au Musée départemental des Antiquités de Rouen (3 avril – 23 juillet 2007), Rouen, Département de Seine-Maritime – Musée départemental des Antiquités, 113–114.

Knauss F., 2021. Chapter 22. Caucasus Region. In: B. Jacobs, R. Rollinger (eds.), A Companion to the Achaemenid Persian Empire. Hoboken, Wiley-Blackwell, 297–310.

Ter-Martirosov F., Deschamps S., Fichet de Clairfontaine F., Mutarelli V., 2012. Beniamin (5-4th centuries BC): A palace and its dependencies during the Achaemenid period, in: P. Avetisyan, A. Bobokhyan (eds.), Archaeology of Armenia in regional context, Yerevan, Institute of Archaeology and Ethnography NAS RA, 197–207.

Les auteurs

Levon Aghikyan est archéologue, Institut d’Archéologie et d’Ethnographie d’Erevan et Musée régional du Shirak à Gyumri.

Sébastien Gondet est chargé de recherche CNRS spécialiste en méthodes de prospection pour l’archéologie et de l’archéologie de l’Empire achéménide, laboratoire Archéorient (UMR 5133, CNRS/Lyon 2), Maison de l’Orient et de la Méditerranée.

Damien Laisney est ingénieur d’études CNRS en topographie, Maison de l’Orient et de la Méditerranée (FR 3747, CNRS/Lyon 2).

Billet rédigé avec la collaboration de :
Lionel Darras, ingénieur de recherche CNRS en instrumentation géophysique au laboratoire Archéorient (UMR 5133, CNRS/Lyon 2), Maison de l’Orient et de la Méditerranée.
– Aurelia Lureau, archéomaticienne indépendante, société Patrimoine & Pixel


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Levon Aghikyan, Sébastien Gondet et Damien Laisney (31 janvier 2025). Prospections archéologiques à Beniamin, un domaine achéménide en Arménie. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 7 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/137xc


Vous aimerez aussi...

1 réponse

  1. 1 février 2025

    […] Découvrir le billet de Levon Aghikyan et al. […]

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.