Reflectance Transformation Imaging (RTI) et tablettes cunéiformes

À l’occasion d’une mission au British Museum en novembre 2024, j’ai pu mettre en œuvre mes connaissances en Reflectance Transformation Imaging (RTI), acquises au cours d’une formation organisée par la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, et dispensée par Jeanne Capelle au musée Lugdunum fin 2022. Cette technologie permet d’obtenir une image dynamique et détaillée de la surface d’un objet grâce à de multiples prises de vues éclairées par un flash autonome. Elle est utilisée en épigraphie et en archéologie, et plus généralement dans la conservation du patrimoine, afin de distinguer des traces d’outils, des inscriptions illisibles, ou encore, pour obtenir une image fidèle de l’objet. L’image créée à partir des multiples photographies permet ainsi de consulter l’artefact virtuellement.

Comment « faire » de la RTI ?

Ce type de prise de vue est généralement réalisé à l’aide d’un dôme équipé de 64 lumières LED, voire davantage, déclenchées automatiquement. Il s’agit d’un dispositif coûteux, qui peut toutefois être remplacé par un équipement de photographie standard (voir le guide de F. Bièvre-Perrin). Avec un appareil photo reflex ou hybride, un flash manuel de type cobra, un trépied, une télécommande d’obturateur, quelques accessoires et un ordinateur, il est ainsi possible de pallier l’absence de dôme portatif sur le terrain. Les logiciels de traitement et de visualisation des images sont libres et téléchargeables sur le site du Cultural Heritage Imaging.

RTI et cunéiforme

La RTI est une technologie utilisée dans l’étude des inscriptions cunéiformes, notamment par l’équipe de la Cuneiform Digital Library Initiative (CDLI) (J. Dahl, K. Wagensonner). Il est possible par ailleurs de consulter en ligne sur le site de la CDLI environ un millier de tablettes sous ce format à ce jour (cf. Fig. 1). Il est estimé qu’environ 500 000 documents cunéiformes sont conservés dans des collections publiques et privées à travers le monde, parmi lesquels 360 000 sont catalogués sur ce site. Les documents (tablettes, objets votifs, sceaux-cylindres…) catalogués ne sont pas tous publiés, photographiés, ou encore traduits. Il s’agit d’un travail scientifique international collaboratif en chantier.

Grâce à ce catalogue en ligne, j’ai pu identifier des tablettes, encore non publiées, dans différents musées, notamment au British Museum et au Louvre, pouvant être rattachées au corpus de dirigeants de la province de Girsu/Lagaš sous la troisième dynastie d’Ur (2112-2004 av. J.-C.), des individus qui étaient au centre de ma thèse de doctorat.

Afin de distinguer les détails des impressions de sceaux sur ces tablettes administratives, la RTI s’est rapidement imposée comme la meilleure approche pour photographier ce corpus. Alors qu’un scan 3D permet de modéliser un objet, la RTI a pour objectif d’en distinguer les moindres variations à sa surface. Dans le cas de l’épigraphie, il s’agit donc d’un outil efficace (voir le billet de J. Capelle). L’installation du matériel prend environ dix minutes, de même que pour le rangement. Les tablettes que j’ai consultées étaient en réalité pour la plupart des enveloppes fermées, mesurant environ 4x5x2 cm en moyenne. Il s’agit de reçus administratifs scellés, et placés à l’intérieur d’enveloppes en argile également inscrites et scellées. Dans certains cas, les enveloppes avaient été découpées par les conservateurs du British Museum, ou encore cassées de façon accidentelle, et la tablette était donc lisible.  Dans ce cas de figure, j’ai pu traiter l’enveloppe et la tablette comme deux objets.

Équipement et déroulement des prises de vue

J’ai utilisé un appareil photo Canon EOS 200d, un flash cobra Speedilte Godox TT600, une télécommande manuelle et un trépied.  Pour simuler le dôme utilisé en RTI, j’ai dessiné un cadran horaire avec de la Patafix à la distance souhaitée, afin d’effectuer 4 prises de vues par heure, et j’ai positionné les billes métalliques sur une feutrine après y avoir glissé des aimants pour les fixer (cf. Fig. 4). Lors de la phase de traitement des photos, les billes servent de repère au logiciel pour déterminer l’angle du flash.

J’ai ensuite pris quatre photos par heure, en commençant à environ 12 degrés (lumière rasante) et en finissant à environ 60 degrés.

Lors de la prise de vue, rien ne bouge hormis le flash que l’on déplace en suivant le cadran horaire. La tablette ayant six faces, il est donc nécessaire de prendre environ 48 photos par face, soit 288 photos par tablette, et parfois même plus de 300 photos. Le CHI recommande d’utiliser le format RAW et de le convertir en JPEG, mais j’ai réalisé mes photos directement en JPEG pour gagner du temps et de l’espace sur ma carte mémoire. J’ai ainsi pris au total 8014 photos de 27 objets en l’espace de quatre jours au British Museum, que j’ai ensuite dû traiter grâce au logiciel libre Relight. Ces photos, une fois assemblées dans le logiciel, permettent d’obtenir une image dynamique de l’objet.

La photo suivante (Fig. 7) est une capture d’écran du logiciel Relight avant l’export RTI. Pour le bas de cette tablette, 52 photos prises sous des angles différents sont traitées par le logiciel.

Et après la RTI ?

Une fois cette étape achevée, je peux maintenant examiner les tablettes sur mon ordinateur comme si je les avais entre les mains. Le logiciel libre RTI Viewer permet de les visualiser en choisissant l’angle de l’éclairage matérialisé par la partie la plus claire sur la sphère en haut à droite de la fenêtre du logiciel (cf. Fig. 8).

En changeant l’éclairage pour une lumière plus rasante, il est à présent possible de voir l’impression du sceau et même les empreintes digitales du scribe (Fig. 9).

Cette trentaine de tablettes seront ensuite copiées manuellement et numériquement avec le logiciel libre Inkscape, translittérées, traduites, puis publiées. Les photos et les informations sur ces tablettes seront mises en ligne sur la CDLI, et sur la BDTNS, la base de données qui regroupe les documents cunéiformes de la période néo-sumérienne (vers 2200 à 2000 AEC). 

Remerciements

Je remercie vivement le laboratoire Archéorient, J. Dahl (univ. Oxford), Marie-Christine Ludwig (univ. Oxford) et Christopher Walker qui m’ont permis de réaliser cette mission.

L’auteur

Sophia Witzig est Docteur en Assyriologie et chercheur associé à Archéorient (UMR 5133), Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon.

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