Pointes de flèche et déformation de tôles en bronze, stage et expérimentation à Jalès en 2024

Du 21 au 26 octobre dernier, se sont tenus à l’antenne de Jalès du laboratoire Archéorient un stage d’initiation aux techniques métallurgiques et une session expérimentale organisés par C. Albaret, V. Loescher, J. Vosges et Q. Zarka. Ces journées ont réuni treize participants, étudiants des Universités Lumière Lyon 2, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Paris-Nanterre, ainsi qu’une attachée de conservation. Ce type de rencontre, le second à Jalès, est amenée à se pérenniser sur un rythme annuel.

Problématiques et enjeux scientifiques

La session expérimentale s’inscrit dans la suite du projet de recherche initié par V. Loescher et Q. Zarka en 2023 autour de l’artisanat métallurgique des alliages cuivreux en Égée à l’âge du Bronze (protocole Zarka, Loescher 2024).

Cette année, le thème de la session portait en premier lieu sur la production et le façonnage de pointes de flèches en bronze mycéniennes du Bronze Récent. Cette thématique est en lien étroit avec le sujet de recherche mené par O. Boitte, référent scientifique de la session.
En outre, cette session expérimentale était aussi l’occasion de travailler sur des problématiques de recherches communes entre O. Boitte, V. Loescher, M. Monnier et Q. Zarka, à savoir les procédés et techniques de production et de transformation de tôles de bronze.

Les pointes de flèches comme objets d’initiation aux techniques métallurgiques de l’âge du Bronze

À partir du thème de la production de pointes de flèches en alliage cuivreux de l’âge du Bronze, les participants ont pu s’essayer à différentes méthodes sur la pratique de la métallurgie de l’âge du Bronze en Égée.

Afin d’apporter un socle théorique solide à cette session expérimentale, O. Boitte a effectué une présentation sur la pointe de flèche en bronze dans le contexte mycénien du Bronze Récent (Fig. 1a).

Le principal objectif, en lien avec le contexte mycénien du Bronze Récent, était la production de pointes de flèche de type V (Buchholz 1962) qui comporte deux à quatre perforations mésiales (Fig. 1b). Trois modes de production ont fait l’objet de notre attention pour cette session : l’emploi de moules en pierre ou en en sable, ainsi que le recours à la technique de la cire perdue.

Pour la production de préformes à partir de moules en pierre, trois types de roches ont été sélectionnés : des grès, du calcaire et du schiste. Ces roches attestées par les découvertes archéologiques (Oberweiler 2005) ont les particularités d’être faciles à travailler et de posséder une bonne résistance à la chaleur (Fig. 2a). Qui plus est, elles offrent la possibilité de couler des pointes en série à partir d’un seul canal de coulée (Fig. 3a).

Bien que la production de flèches à partir de moules en sable ne soit pas attestée par les découvertes archéologiques du fait du caractère éphémère du support, il nous paraissait important de ne pas exclure cette hypothèse (Fig. 2b). Pour la session, nous avons utilisé un sable réfractaire et des coffrages en bois ou en métal. Dans l’idée de fondre en série et sur le modèle d’un moule en grès de Corcelette (Coutil 1912, Fig.1 ; Morin et al. 2018, pl. XIX), un moule en sable avec un arbre de coulée central a également été testé (Fig. 3b). Bien que plusieurs configurations modifiant l’orientation des pointes et l’importance des canaux de coulée et d’évents aient été essayées, le matériau du moule n’a pas pu être facilement chauffé et n’a pas permis au métal de se diffuser dans l’ensemble de la matrice.

Le dernier mode de production exploré pendant cette session était l’utilisation de la cire perdue (Fig. 2c). Pour ce faire, les pointes sont tout d’abord réalisées en cire d’abeille, puis assemblées par groupes de trois ou quatre autour d’un axe vertical ou horizontal. Ces ensembles sont ensuite recouverts de deux couches d’argile fortement dégraissée avec du crottin effrité qui confère aux moules porosité et robustesse. Les moules sont ensuite séchés et cuits juste avant de recevoir la coulée. 

Dans le cadre de la production de pointes de flèches, toutes les techniques utilisées pendant cette session ont permis d’obtenir des pointes conformes aux originales par leur morphologie. Néanmoins, d’un point de vue d’efficacité dans la production, les techniques de moulage à la cire perdue et en moule de pierre nous apparaissent aujourd’hui plus efficientes. De manière générale, les pièces fines sont plus faciles à obtenir dans un moule que l’on peut préchauffer, cela permet de garder de la fluidité dans la coulée du métal et de retarder son refroidissement. Le taux d’échec est donc moins important avec l’utilisation de moules en pierre, d’autant que ces derniers sont réutilisables. La technique de la cire perdue présente également l’avantage de produire en série des objets en « grappe », où plusieurs dizaines de préformes sont organisées autour d’un canal de coulée central (Fig. 3c). 

Qu’il s’agisse de l’usage de la technique de la cire perdue ou celle du moule en pierre, une préparation minutieuse des moules réduit considérablement le temps de façonnage nécessaire afin de rendre les pointes de flèches fonctionnelles.

Les préformes produites à l’issue des coulées ont fait l’objet de plusieurs étapes de façonnage. Certaines pointes ont été martelées avec un marteau à retreindre en bronze afin d’être amincies (Fig. 4a), puis elles ont été redécoupées à l’aide d’un ciseau en bronze afin d’obtenir la morphologie souhaitée.

Les pointes de flèche issues du référentiel archéologique comportaient une ou plusieurs perforations. Plusieurs pistes de réflexion ont été proposées afin de comprendre comment elles ont été réalisées. La première piste explorée à Jalès a été celle de l’utilisation du foret à archet ou du foret à pompe (avec mèche en silex) (Fig. 4b), deux types d’outils bien connus à l’âge du Bronze méditerranéen. Pourtant, il semble que les stigmates visibles sur les objets archéologiques ne correspondent pas à ceux laissés par l’utilisation de ce type de foret. Deux autres pistes seront à explorer dans le futur : la perforation avec la technique du punch et l’aide d’un burin en métal (perforation dont les bords peuvent être ensuite abrasés), et la mise en place des perforations dans le moule (à cire perdue) en amont de l’étape de la coulée.

Enfin, plusieurs pointes de flèches façonnées ont pu être emmanchées à des préhampes en bois. Pour fixer les pointes, nous avons exploré deux possibilités : l’usage de résine de pin, ainsi que l’utilisation de fibres animales (tendons de cerf) ou végétales (orties) (Fig. 4c).

Expérimentation : quelques essais préliminaires sur la déformation des tôles de bronze

Deux grands types de tôles en bronze (plaques rectangulaires) ont été produites pendant cette session expérimentale, de 2 mm et 4 mm d’épaisseur. Pour chacun de ces types de tôle, nous avons coulé des alliages dont la teneur en cuivre (Cu) et étain (Sn) était variable : 100 % Cu ; 98 % Cu et 2 % Sn ; 95 % Cu et 5 % Sn ; 90 % Cu et 10 % Sn. L’objectif ici était de cerner le niveau de difficulté, ainsi que le coefficient d’étirement du métal en fonction de l’épaisseur d’une préforme et de l’alliage qui le compose. 

Plusieurs exemplaires de tôles en alliages cuivreux produits ont fait l’objet de séquences de travail de martelage (Fig. 5). Un marteau à rétreindre en bronze (Zarka, Loescher 2024 pour le modèle) fut utilisé pour le martelage et les recuits ont fait l’objet d’un enregistrement systématique, comme la température du métal (mesurée avec un thermocouple) ou son temps de refroidissement à l’air libre. La température et le temps de refroidissement du métal sont deux types de données qui ont fait l’objet de variations afin d’observer un possible changement sur le comportement du métal pendant le martelage d’une part (Nerantzis, 2012 et 2015). Mais aussi, pour nous éclairer sur les conditions de travail et la perception sensorielle que pouvaient avoir les artisans de l’époque pour juger, notamment pour évaluer la température du métal en fonction de sa couleur.

Le dernier volet des tests exploratoires concernait la découpe de la tôle. Outre l’enlèvement au ciseau en bronze des barbelures sur les pièces coulées (Fig. 6a), la découpe de formes simples a été tentée dans les plaques de 2 et 4 mm. Dans la suite des expérimentations de l’an dernier sur la fabrication de scies, l’objectif était notamment de tester différents outils pour la découpe de dents (Fig. 6b-c).

Globalement, l’approche exploratoire menée sur les tôles de bronze a permis d’établir les bases d’un référentiel de traces sur ce type de support. 

Perspectives

À travers cette deuxième session expérimentale, ce projet vise à s’inscrire dans le temps en proposant un stage d’initiation en archéométallurgie chaque année à la Commanderie de Jalès.

En outre, les observations menées sur le travail de la tôle de bronze et les possibilités de transformation de cette dernière nous poussent à poursuivre notre enquête sur deux types de cas concrets. D’une part, sur les procédés d’entretien dit « patchs de réparation » sur des vases (Clarke 2013) et casques en bronze (Modlinger 2017). D’autre part, sur le façonnage de scies à partir de tôle de bronze, avec la préparation et l’entretien des dents.

Remerciements et participants

Nous tenons à exprimer nos remerciements au laboratoire Archéorient pour la mise à disposition gracieusement des locaux d’hébergement et des espaces nécessaires pour ce projet d’archéométallurgie, à S. Sanz-Laliberté pour son accueil et sa disponibilité au sein de la commanderie, ainsi qu’à l’ensemble des participants (par ordre alphabétique) :

O. Boitte, Doctorant en Archéologie, UMR 7041 – ArScAn, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

N. Del Socorro, Attachée de conservation au Musée Camille Claudel et chercheure associée à UMR 7041 – ArScAn

M. Demey, Doctorant en Archéologie, UMR 7041 – ArScAn, Université Paris 10 Nanterre

S. Dutkiewicz, Master 1 en Archéologie, Université Paris 10 Nanterre

D. Grimberg, Doctorante en Archéologie, UMR 8068 – Temps, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

J. Langlois, étudiant troisième année de Licence, Université Lumière Lyon 2

T. Magand, Master 2 en Archéologie, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

M. Monnier, Doctorante en Archéologie, UMR 7041 – ArScAn, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

J. Vitani, Doctorant en Archéologie, UMR 8215 – Trajectoires et UMR 7041 – ArScAn, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Bibliographie

Buchholz H.-G. 1962. Der Pfeilglätter aus dem VI. Schachtgrab von Mykene und die helladischen Pfeilspitzen, Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts, 77, 1-58.

Clarke C. F. 2013. The manufacture of Minoan metal vessels: theory and practice, Uppsala, Åströms Förlag, Studies in Mediterranean archaeology and literature, 178.

Coutil L. 1912. Étude sur les pointes de flèches de l’Âge du Bronze, munies de barbelures à la douille. Objets de l’Âge du Bronze trouvés dans les Sépultures Mérovingiennes, BSPF 9.2, 128‑134. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1912_num_9_2_6393 

Loescher Valentin, Vosges Jérémie et Quentin Zarka, Guerrier et artisans en Égée à l’âge du Bronze, un projet expérimental à Jalès, ArchéOrient – Le Blog, 10 novembre 2023, [En ligne] https://archeorient.hypotheses.org/25784

Mödlinger M. 2017. Protecting the Body in War and Combat, Vienne, Austrian Academy of Sciences Press, OREA, 6.

Morin D., Sainty J., Morin-Hamon H. (éds) 2018. Couler le métal comme il y a 4000 ans. Expérimenter le geste, Nancy, Presses universitaires de Nancy – Éditions Universitaires de Lorraine, Archéologie Expérimentale.

Nerantzis N. 2012. Shaping bronze by heat and hammer: An experimental reproduction of Minoan Copper alloy forming techniques, Mediterranean Archaeology and Archaeometry 12.2, 237‑247.

_ 2015. Experimental simulation study of prehistoric bronze working: testing the effects of work-hardening on replicated alloy, in: A. Hauptmann, D. Modarressi-Tehrani (éds), Archaeometallurgy in Europe III Proceedings of the 3rd International Conference Deutsches Bergbau-Museum Bochum, June 29 – July 1, 2011, Bochum, Deutsches Bergbau-Museum, 329‑335.

Oberweiler C. 2005. La métallurgie du cuivre et du bronze dans le monde égéen du Bronze Ancien au début du Bronze Récent (IIIe millénaire – début du IIe millénaire av. J. -C.) : les techniques de fonderie, Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Thèse de doctorat, 3 vol.

Zarka Q., Loescher V. 2024. Fabriquer ses armes et ses outils, hypothèses pour une expérimentation sur l’Âge du Bronze égéen, Bulletin de l’APERA 3 [en ligne], 5‑36. Disponible sur https://zenodo.org/records/10901059 

Les auteurs

Valentin LOESCHER est doctorant au laboratoire ArScAn (UMR 7041), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, EUR ArChal.

Quentin ZARKA est doctorant au laboratoire ArScAn (UMR 7041), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Odysseas BOITTE est doctorant, laboratoire ArScAn (UMR 7041) Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Jérémie VOSGES est chercheur associé de l’UMR 5133, Archéorient (Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon).

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