Le Kuduk Bulak Archaeological Project : Recherches sur les âges du Bronze et du Fer en Ouzbékistan
Le Kuduk Bulak Archaeological Project est soutenu pour une durée de deux ans (2024-2025) par l’International Institute for Central Asian Studies by the UNESCO Silk Road Programme. Il est porté par Johanna Lhuillier (Archéorient) et Alisher Shaydullaev (Termez State University), dans le cadre d’un partenariat de collaboration avec cette université. Son objectif est d’explorer le site de Kuduk Bulak, en Ouzbékistan, dans son contexte culturel et environnemental afin de contribuer à notre connaissance des âges du Bronze et du Fer en Asie centrale (2e millénaire av. n.è.) (Fig. 1).
Kuduk Bulak se trouve dans la vallée de Pashkurt, dans les piémonts des Monts Kugitang, une zone de moyenne montagne (700 à 1200 m d’altitude) près de la frontière turkmène dans le sud du pays (Fig. 2). Le site a été découvert lors d’une prospection menée par les membres de la Mission archéologique franco-ouzbèke en Bactriane Protohistorique (MAFBAP) en 2022. La MAFBAP mène depuis 2017 des recherches pluridisciplinaires sur un ensemble de sites de l’âge du Fer (env. 1400-1000 av. n.è.) de la vallée de Pashkurt, l’Oasis de Kayrit. Ces travaux, conjointement à ceux de la mission tchéco-ouzbèke dans la même région (Stančo et al. 2014, Augustinová et al. 2015, Stančo 2016, Stančo et al. 2017) ont permis de mettre en évidence l’existence d’un peuplement qui présente des caractéristiques uniques en Asie centrale : des gros villages fortifiés, fondés ex nihilo durant l’âge du Fer ancien, associés à des petits hameaux, distants de quelques kilomètres les uns des autres. Depuis 2022, ces recherches contribuent à l’ANR TransOxus (2022-2025), qui vise à comprendre les mécanismes de la transition entre les âges du Bronze et du Fer en Asie centrale (disparition de la civilisation de l’Oxus et formation des cultures à céramique modelée peinte vers 1500-1400 av. n.è.) en documentant les stratégies d’adaptation socio-économiques et environnementales des sociétés du début de l’âge du Fer.
Dans ce cadre, la céramique collectée lors de la prospection de 2022 à Kuduk Bulak a permis de proposer une datation du site à l’âge du Fer ancien. Dès l’année suivante, nous avons donc décidé d’ouvrir des sondages exploratoires sur le site. Notre surprise a alors été grande de découvrir dès les premiers coups de truelle des vestiges attribuables à l’âge du Fer, mais aussi à l’âge du Bronze. Il nous est donc apparu nécessaire de poursuivre l’étude du site, ce qui a été rendu possible grâce au Kuduk Bulak Archaeological Project.
Kuduk Bulak, un rare site occupé pendant les deux périodes
Dans la vallée de Pashkurt, plusieurs sites datés de l’âge du Bronze moyen sont recensés (Dvurechenskaja et al. 2014, Mokroborodov 2006, Stančo et al. 2017), dont un seul, Tilla-Bulak, a été complètement fouillé (Kaniuth 2021). D’après Kaniuth, ces sites présentent toutes les caractéristiques de la civilisation de l’Oxus en dépit de leur caractère plus rural, mais ils sont occupés pendant 150 ans tout au plus, avant d’être abandonnés vers 1750 av. n.è. Or, les sites de l’âge du Fer ancien identifiés dans la vallée de Pashkurt sont datés par C14 autour de 1300 av. n.è. Ailleurs en Asie centrale, on n’observe pas la même discontinuité du peuplement. Comment expliquer l’absence de sites du Bronze final ? Pourquoi la région a-t-elle été abandonnée puis réoccupée ?
Kuduk Bulak, seul site de la région à présenter des vestiges à la fois de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer, offre donc une nouvelle perspective sur ces problématiques. Les sites occupés lors des deux périodes sont d’ailleurs moins d’une dizaine dans l’ensemble de l’Asie centrale, dont un seul, Dzharkutan, se trouve en Ouzbékistan (Lhuillier et al. 2018).
C’est donc avec un double objectif que nous avons entrepris des recherches à Kuduk Bulak : d’une part, caractériser la culture matérielle de ces deux périodes afin de saisir le plus finement possible les éléments d’évolution ; d’autre part, documenter l’économie de subsistance des habitants du site.
Les recherches préliminaires sur le site
Kuduk Bulak est un site de 4 ha, installé sur une longue butte (Fig. 3) parallèle à la route moderne reliant les villages de Maydan et Pashkurt. Il tire son nom de la source éponyme située en contrebas. Lors du printemps 2023, nous y avons lancé les premières opérations afin d’en préciser la chronologie et la nature de l’occupation.
Lionel Darras (Archéorient) a mené une prospection magnétique sur le site, couvrant une superficie d’environ 3 ha. L’objectif était d’obtenir une vision générale du site et de sa préservation et ainsi de guider le choix de l’implantation des fouilles. Les résultats ont confirmé les observations topographiques en montrant que la surface du site a été fortement perturbée, à la fois par le creusement d’un canal à l’époque soviétique et par son utilisation récente comme champ par une famille du village voisin. La nature d’une série d’anomalies du côté nord du site, dont la profondeur est estimée entre 1 et 2,5 m, demeure indéterminée mais il pourrait s’agir de vestiges archéologiques. Nous avons implanté un premier sondage à l’endroit ayant livré le plus de céramique de surface, une petite butte encaissée du côté septentrional. Ce premier chantier a rapidement livré des niveaux en place attribuables uniquement à l’âge du Bronze. Un autre chantier a été installé à l’emplacement de deux anomalies magnétiques formant un angle droit. Pourtant, aucun vestige n’a pu y être identifié, suggérant qu’il pourrait s’agir des traces « fantômes » laissées par une occupation disparue. En revanche, un bâtiment d’orientation différente et que l’on peut dater de l’âge du Fer est apparu plus profondément. Un dernier chantier a été implanté sur un des points hauts du site, où aucun vestige n’a pu être identifié.
Des recherches plus approfondies
Le printemps 2024 a marqué le début de ce nouveau volet de recherche à Kuduk Bulak avec une campagne de fouille d’un mois, ciblée sur le site, que les pluies fréquentes et abondantes, très inhabituelles en cette saison, ont compliqué. Deux stratégies complémentaires nous ont guidés : poursuivre l’exploration de la zone ayant déjà livré des vestiges et déterminer plus précisément l’extension et l’état de préservation du site.
A notre arrivée sur le site à la mi-avril, nous avons eu la surprise de découvrir qu’une tranchée de 1,5 m de profondeur avait été creusée tout le long de ses côtés sud et ouest (clairement visible sur les clichés Google Earth pris en juin 2024, Fig. 4). Il s’agit d’une initiative locale des habitants du village voisin de Maydan afin de récupérer de l’eau en se connectant au réseau de canaux situés dans la steppe au plus près des contreforts des Kugitang, afin de lutter contre la pénurie d’eau chronique qui affecte le village depuis quelques années. L’examen de la coupe créée par cette tranchée dans la partie sud-ouest du site, au relief très doux, montre que la couche archéologique y a une épaisseur maximale de 20 cm. Les tessons de la section et des déblais du creusement peuvent tous être attribués à la période antique.

Toujours avec l’objectif de déterminer l’extension de la surface occupée, nous avons implanté deux chantiers du côté est sur des zones sommitales du site, habituellement propices aux installations humaines et ayant ici livré quelques tessons en surface. La partie la plus haute du site a probablement bien été occupée à l’âge du Bronze, comme le confirme la présence en surface de tessons de cette période, mais les niveaux correspondants ont été érodés depuis longtemps. L’importance des dépôts éoliens, constitués d’apports irréguliers et épais, montre des dynamiques érosives complexes. Seule une petite zone au nord du site a été protégée de l’érosion par son encaissement.
Les divers chantiers installés à cet endroit ont permis d’affiner notre compréhension de la chronologie du site. Trois phases successives d’occupation de l’âge du Bronze ont pu être identifiées. Lors de la première, la zone était probablement dédiée aux activités de cuisine et de cuisson en plein air (Fig. 5). Lors de la seconde, un bâtiment de plan circulaire construit en bauge, dont seul un quart de cercle a été préservé, est également associé à des structures de combustion. La dernière phase, apparue juste sous la surface, est caractérisée par quelques murs dont ne subsistent que des assises de fondation en pierre. La céramique associée, dont l’étude est en cours, présente des caractéristiques morpho-technologiques permettant de l’attribuer pour l’essentiel à l’âge du Bronze moyen, mais quelques formes pourraient se rapporter au Bronze final.
Plus à l’est, un unique grand bâtiment construit en bauge et en briques crues est daté de l’âge du Fer ancien. Son plan est incomplet car il excède les dimensions du chantier (10 x 6,5 m), dont il occupe la totalité (Fig. 6). Cette taille, sans être exceptionnelle, est toutefois largement supérieure à celle de la plupart des bâtiments connus pour la période. Sa fonction demeure également mystérieuse : à l’exception de quelques tessons à l’intérieur d’un silo creusé dans le sol, aucun artefact n’y a été découvert, suggérant que le bâtiment a été vidé avant son abandon. Deux autres chantiers ouverts à proximité permettront, nous l’espérons, de dégager la suite de ce bâtiment.
Les perspectives
La campagne 2024 a confirmé la présence d’occupations liées aux deux périodes de l’âge du Bronze et du Fer, mais également que chacune d’entre elles se trouve à un endroit différent du site. Si cela nous empêche évidemment de nous appuyer sur la stratigraphie pour comprendre la période de transition, il n’en demeure pas moins que de nombreux éléments permettront d’avancer notre connaissance sur ce sujet, à commencer par la céramique (Camille Abric, Johanna Lhuillier) et par les datations radiocarbones prévues, mais pas uniquement. Les études anthracologiques (Alexia Decaix) et de l’outillage macro-lithique (Caroline Hamon, Abror Uralov) en cours, en attendant d’autres études archéobotaniques prévues à partir de l’année prochaine, viendront éclairer les stratégies de subsistance pour chaque période. La très mauvaise conservation de la faune empêche malheureusement toute étude archéozoologique. L’étude des empreintes de tissu qui tapissent le fond de certains vases de l’âge du Fer viendra jeter un éclairage sur le tissage (Christophe Moulhérat). L’environnement du site sera exploré, en particulier à la recherche de réseau d’irrigation (Roberto Arciero) et pour comprendre ses relations plus larges avec les autres sites contemporains à travers un SIG (Emmanuelle Régagnon).
Remerciements
Nous tenons à exprimer notre gratitude à l’International Institute for Central Asian Studies grâce à qui ce travail est rendu possible, à l’Université d’Etat de Termez et tout particulièrement à Shapulat Shaydullaev, ainsi qu’à toute l’équipe de Kuduk-Bulak.
Bibliographie
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Dvurechenskaja N.D., Mokroborodov, V.V., Rukavishnikova D.V. 2014. Marshrutnye issledovanija na juge Uzbekistana v 2013 godu, Kratkie Soobshchenija Instituta Arkheologii 236, 69-81.
Kaniuth K. 2021, Life in the countryside. The rural archaeology of the Sapalli culture, in : B. Lyonnet, N. Dubova (eds.), The world of the Oxus Civilization, London, Routledge, 457-486.
Lhuillier, J. Bendezu-Sarmiento, J., Mustafakulov, S. et al., Excavation at Džarkutan (Uzbekistan): a settlement of the early Iron Age in southern Central Asia, in : J. Lhuillier, J. & Boroffka, N. (dir.), A millennium of history: The Iron Age in southern Central Asia (2nd and 1st millennia BC), Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 31-50.
Luneau, E. 2021. The end of the Oxus Civilization, in : B. Lyonnet, N. Dubova (eds.), The world of the Oxus Civilization, London, Routledge, 496-524.
Mokroborodov, V.V. 2006. Keramika epokhi bronzy iz kishlaka Pashkhurt, Arkheologicheskie issledovanija v Uzbekistane 2004– 2005 gody, 160-164.
Stančo L. 2016. Archaeological Survey in the Surroundings of Kayrit (South Uzbekistan), Preliminary Report for Season 2015, Studia Hercynia XX/2, 73–85.
Stančo L., Shaydullaev Sh., Bendezu-Sarmiento J., Pažout A., Vondrová H. 2014. Kayrit burial site (south Uzbekistan): preliminary report for season 2014, Studia Hercynia XVIII/1-2, 31-41.
Stančo, L., S. Shaydullaev, A. Shaydullaev, A. Augustinova, and J. Havlik 2017. Archaeological Survey in the Eastern Kugitang Piedmonts (South Uzbekistan): Preliminary Report for Seasons 2016 and 2017, Studia Hercynia 21(2), 121-138.
Les auteur.e.s
Johanna Lhuillier est Chargée de Recherche au CNRS. Archéologue, spécialiste de l’Asie centrale protohistorique, elle est responsable de la Mission archéologique française en Bactriane protohistorique. Elle est membre du laboratoire Archéorient UMR 5133 (CNRS/Lyon 2), Maison de l’Orient et de la Méditerranée.
Alisher Shaydullaev est archéologue, spécialiste de l’âge du Bronze en Asie centrale. Il est actuellement vice-recteur à la recherche et à l’innovation au sein de l’Université d’Etat de Termez.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Johanna Lhuillier et Alisher Shaydullaev (18 octobre 2024). Le Kuduk Bulak Archaeological Project : Recherches sur les âges du Bronze et du Fer en Ouzbékistan. ArchéOrient - Le Blog. Consulté le 8 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12j5f